"C'est la révolte même, la révolte qui seule est créatrice de lumière.
Et cette lumière ne peut connaître que trois voies, la poésie, la liberté et l'amour
qui doivent inspirer le même zèle et converger,
à en faire la coupe même de la jeunesse éternelle,
sur le point le moins découvert et le plus illuminable du cœur humain"
Et cette lumière ne peut connaître que trois voies, la poésie, la liberté et l'amour
qui doivent inspirer le même zèle et converger,
à en faire la coupe même de la jeunesse éternelle,
sur le point le moins découvert et le plus illuminable du cœur humain"
Ce qui n'a pas de prix échappe à la marchandisation de l'art, ce qui n'a pas de prix, pour Annie Le Brun, est la beauté venue de nos paysages intérieurs qui ouvre des horizons, celle qui libère, bouleverse, subvertit et s'oppose à ce qui est (le sens du beau selon Breton). L'actuelle esthétisation du monde, dictée par la financiarisation de l'économie et la collusion de la finance avec l'art contemporain et l'industrie du luxe – la mode –, détruit "l'extraordinaire courage de l'imagination". L'anéantissement de la liberté sensible au profit de "jolies" choses imposées conduit l'auteure au constat de l'enlaidissement du monde.
Jeff Koons & Louis Vuiton © Theartgorgeous |
De même que le réalisme socialiste du régime soviétique s'efforça de manipuler les sensibilités, Annie Le Brun pense que l'art contemporain instaure ce qu'elle nomme le réalisme globaliste. À la différence qu'il n'est pas cette fois question d'imposer telle ou telle vision de la vie liée à une idéologie précise, mais de dicter des processus, des dispositifs prescriptifs en concordance avec la financiarisation du monde : "Et si la terreur du totalitarisme idéologique est ici remplacée par les séductions du totalitarisme marchand, la spécificité du réalisme globaliste est de nous convier à notre propre dressage." L'auteure n'hésite pas à parler de terrorisme pour dire la façon dont l'art contemporain s'impose, notamment avec la démesure d'expositions très médiatisées.
Le Brun ne ménage pas certains noms : financiers du CAC40 (Bernard Arnault, François Pinault) ou artistes surcotés (Anish Kapoor, Damien Hirst, Jeff Koons). L'essai à été refusé par Gallimard, où il semble que Bernard Arnault (Christian Dior, LVMH) possède du capital.
Le Brun ne ménage pas certains noms : financiers du CAC40 (Bernard Arnault, François Pinault) ou artistes surcotés (Anish Kapoor, Damien Hirst, Jeff Koons). L'essai à été refusé par Gallimard, où il semble que Bernard Arnault (Christian Dior, LVMH) possède du capital.
Jeff Koons & Louis Vuiton © tendances-de-mode |
La critique sociale s'est rarement placée sur le plan du sensible. La particularité de ce travail réside dans le lien qu'il établit entre laideur, pouvoir de l'argent et politique, dénonçant une hégémonie sur le domaine sensible à travers une esthétisation qui voile une manœuvre violente tendant à suspendre le regard critique: "On est embarqué dans une guerre qui est celle du profit" (cf entretien avec Aude Lancelin).
Pour développer son propos, elle rappelle d'anciens visionnaires qui avaient discerné en leur temps de telles dérives, tels Willian Morris, Élysée Reclus et Charles Fourier (L'écart absolu).
"L'irréalité nous fait riches de ce que nous ne sommes pas" : accessible à tous, elle offre la liberté de trouver les passages pour se réapproprier le monde. Or le réseau Internet, "en multipliant les connexions pour affirmer de plus en plus l'hégémonie de son éternel présent", nous cache ces passages "vers les profondeurs du temps dont nous sommes faits". Aby Wartburg (1866-1929) [encore un "ancien"], a évoqué "l'extraordinaire courage de l'imagination affrontant, à travers les siècles et les civilisations, la peur qui assiège chacun au cœur de sa pensée, la peur de voir surgir la forme qui ouvre sur le néant qui nous habite". Annie Le Brun s'interroge sur "la façon dont la marchandisation du monde mise absolument sur cette «peur de la pensée», [...] à l'origine de toutes les démissions". Pour en sortir, elle exhorte comme Victor Hugo : " Allez au-delà ! Extravaguez ! ".
Certes, on dira que l'insoumise ALB, spécialiste de Sade et amie des surréalistes, fuit la norme et préfère les marges de la sédition. On peut penser que, lassée, elle n'est pas de ce temps et rejette tout en bloc, qu'elle critique exagérément l'Internet et d'autres aspects de la modernité par une forme de renoncement ou de dégoût. Mais je pense qu'il faut écouter cette voix débusquer les émanations d'une idéologie que l'on respire désormais inconsciemment tous les jours et qui prive l'écrivaine et poétesse des éblouissements d'un ordre supérieur qu'elle tient comme une exigence.
Pour développer son propos, elle rappelle d'anciens visionnaires qui avaient discerné en leur temps de telles dérives, tels Willian Morris, Élysée Reclus et Charles Fourier (L'écart absolu).
"L'irréalité nous fait riches de ce que nous ne sommes pas" : accessible à tous, elle offre la liberté de trouver les passages pour se réapproprier le monde. Or le réseau Internet, "en multipliant les connexions pour affirmer de plus en plus l'hégémonie de son éternel présent", nous cache ces passages "vers les profondeurs du temps dont nous sommes faits". Aby Wartburg (1866-1929) [encore un "ancien"], a évoqué "l'extraordinaire courage de l'imagination affrontant, à travers les siècles et les civilisations, la peur qui assiège chacun au cœur de sa pensée, la peur de voir surgir la forme qui ouvre sur le néant qui nous habite". Annie Le Brun s'interroge sur "la façon dont la marchandisation du monde mise absolument sur cette «peur de la pensée», [...] à l'origine de toutes les démissions". Pour en sortir, elle exhorte comme Victor Hugo : " Allez au-delà ! Extravaguez ! ".
Certes, on dira que l'insoumise ALB, spécialiste de Sade et amie des surréalistes, fuit la norme et préfère les marges de la sédition. On peut penser que, lassée, elle n'est pas de ce temps et rejette tout en bloc, qu'elle critique exagérément l'Internet et d'autres aspects de la modernité par une forme de renoncement ou de dégoût. Mais je pense qu'il faut écouter cette voix débusquer les émanations d'une idéologie que l'on respire désormais inconsciemment tous les jours et qui prive l'écrivaine et poétesse des éblouissements d'un ordre supérieur qu'elle tient comme une exigence.
- Entretien de Aude Lancelin avec Annie Le Brun.
- Article de Philosophie Magazine (Cédric Enjalbert)
- Article du Nouveau Magazine littéraire (Marie-Dominique Lelièvre)
- En 2012, Frédéric Schiffter abordait le sujet dans son livre "La beauté, une éducation esthétique": voir le blog de l'auteur. (Réédition en octobre 2018)
- Évocation de l'ouvrage sur "Nos consolations".
- "Du trop de réalité" (Annie Le Brun) : lecture sur peripheries.net
Merci beaucoup pour ce billet, voilà un essai percutant que vous donnez envie de lire. Merci aussi pour les liens complémentaires dans votre "dossier", je vais écouter cet entretien.
RépondreSupprimerLes "produits dérivés" comme ces sacs kitsch illustrent parfaitement cette marchandisation de l'art, même si les mécènes ont toujours eu un rôle à jouer auprès des artistes. Le danger de l'uniformisation est aujourd'hui bien plus perceptible qu'à l'époque de William Morris et de "L'âge de l'ersatz", avec l'appui des médias et des réseaux. Résister à cet enlaidissement, oui !
Comme je l'écrivais à Aifelle en réponse à un commentaire (l'extrait précédent), Annie Le Brun a la phrase (remarquablement) érudite et sait s'élever au-dessus du détail pour formuler des concepts, ce qui, à mon avis, ne rend pas ses livres aisés à appréhender, j'en ai fait plusieurs fois l'expérience.
SupprimerJe ne peux cependant que conseiller l'essai si le sujet vous intéresse. Ceci dit, il me semble que les informations fournies ici permettront de bien s'instruire de la question, dont je ne doute pas que vous êtes déjà largement consciente.
Je retrouve bien dans votre billet les propos entendus dans l'émission dont je vous parlais précédemment. Je ne peux que partager son point de vue sur les artistes surcotés de ces dernières décennies et la perte du beau. Elle a un point de vue assez radical, mais o combien intéressant et qui pousse à la réflexion.
RépondreSupprimerC'est tout à fait ça: radical mais pertinent.
SupprimerBelle journée !
Je crois que avons grandement besoin de ce genre de réflexion qui, oui, est assez radicale, mais au combien juste. C'est comme si Annie Le Brun devait une lanceuse d'alerte pour l'Art... J'ai entendu parler de cet essai qui me tente bien, malgré les multiples lectures que j'ai en cours et en projet. Le problème est que ceux qui sont déjà crétinisés ne le liront pas...
RépondreSupprimerMerci pour cet article fort intéressant, et les liens qui vont avec.
Bonne journée.
Je doute en effet que les crétins s'intéressent aux alertes de ALB.
SupprimerBonne journée !
Très bon billet et belle recommandation. Merci cher Christw !
RépondreSupprimerJe partage ! Il me semble logique que la radicalité d'Anne Le Brun vienne en contrepoint d'une autre radicalité, celle portée par tous ses faiseurs et autres imposteurs... Il est temps de se reprendre et de réagir face aux diktats bien-pensants et branchés!
Bonsoir K.
SupprimerMais oui, « ça commence à bien faire! », comme on dit. Et il faut le dire.
Ce genre d'essai fait du bien.
Good day! I could have sworn I've been to this blog before but after browsing through some of the post I realized it's new to me.
RépondreSupprimerAnyways, I'm definitely glad I found it and
I'll be book-marking and checking back frequently!