"Nous commençâmes de courir autour d'elle; nous tirions ses boucles et nous échappions en frottant un index contre l'autre : «bisque, bisque, rage...» Je restais à une distance prudente, mais Jean tourbillonnait autour d'elle comme un démon, la frôlait, s'échappait de nouveau... Soudain, Michèle se précipita, les griffes en avant, et lui sauta au visage. Il ne se défendit pas, trébucha, s'affala dans l'herbe; quand il se fut relevé, nous vîmes que sa joue griffée était en sang. Nous demeurâmes interdits ; Michèle était pâle.
– Oh ! Jean, éponge-toi, je n'ai pas de mouchoir.
Mais lui, laissait couler le sang sur sa joue. Je crus qu'il allait foncer contre Michèle, mais non : il lui souriait. Que ce sourire lui ressemblait peu ! On eût dit que Jean avait des droits sur elle, et elle sur lui, qu'il était libre d'accepter qu'elle lui fît mal. Enfants, ils entraient à leur insu dans ce monde où les coups ont la même signification que les caresses, où les injures sont chargées de plus d'amour que les plus tendres paroles. Et le rideau se refermait sur eux: je ne les voyais plus; je restais seul de l'autre côté de la toile, petit garçon perdu dans un monde peuplé de ces ogres inconsistants : les grandes personnes."
François Mauriac - "La pharisienne"
François Mauriac - "La pharisienne"
"... petit garçon perdu dans un monde peuplé de ces ogres inconsistants : les grandes personnes."...que l'on peut aussi décliner en "petit peuple perdu dans un monde peuplé de ces ogres inconsistants: les Grandes Personnes"; que Mauriac, dans son "Bloc-notes" nommaient "ce petit nombre de mains qui tiennent les commandes secrètes qui assurent les immenses profits de quelques-uns et qui font de chacun de nous les têtes d'un troupeau exploitable, exploité"..." J'ai lu une partie ces "bloc-notes" où figure quelques pépites sur les "Grandes personnes" de son temps et pas seulement politiques.
RépondreSupprimerJe crois que les blocs-notes font cinq volumes, ils doivent encore exister en poches, ça vaut le coup pour ce genre de pépites.
SupprimerUn grand plaisir de lire cet extrait de Mauriac que je n'ai plus lu depuis des lunes...merci de m'en donner l'envie de le reprendre.
RépondreSupprimerUne écriture très soignée, des personnages attachants. Je projette de lire la suite : "L'agneau". Ou peut-être ses 'Blocs-notes".
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