19 octobre 2018

La pharisienne


S'il faut citer un maître pour donner vie à des personnages, c'est bien François Mauriac. L'effet est d'autant plus vif que ces êtres viennent de sphères visitées naguère, première moitié de siècle un peu poussiéreuse, ces univers de lectures de jeunesse, quand on dévorait des romans au coin du feu, les devoirs un peu bâclés, ou dans les draps, parfois à la lampe de poche, refoulant l'idée du lever pour l'école du lendemain.

J'ai trouvé ce roman (1941) de François Mauriac plus «moderne» que ceux que j'ai lus auparavant. Il propose une construction plus complexe, où le narrateur, Louis Pian, déclare détenir des documents qui étaient le récit: "Au vrai, j'ai survécu à la plupart de mes héros dont plusieurs ont tenu dans ma vie une grande place. Et puis, je suis paperassier de nature et détiens, outre un journal intime (celui de M. Puybaraud), les agendas que Mirbel avait trouvés dans la succession de M. Calou. Par exemple, j'ai en ce moment sous les yeux la lettre que l'abbé relisait, [...]". Plus loin : "Si c'était un roman que j'écrivais ici, ce Malbec serait un type amusant à crayonner, [...]".

Un article de "L'information littéraire" (Cairn) souligne à ce propos l'écriture polyphonique de "La Pharisienne": Mauriac y remanie sa technique narrative en réaction aux critiques incisives de Sarte publiées dans la NRF en 1939 ("Dieu n'est pas un artiste, M. Mauriac non plus"), notamment sur son écriture monolithique.

Pour le pitch, je vous renvoie au résumé de l'éditeur. En y ajoutant les frustrations que rencontre Louis, encore enfant, lorsque son ami, la forte-tête Jean de Mirbel et sa propre sœur aînée Michèle, l'excluent de leurs jeux car ils nourrissent l'un pour l'autre des sentiments de "grandes personnes" (voir l'extrait à venir). 

Les questions de la foi religieuse ont toujours passionné Mauriac, écrivain fervent catholique. Il se montre critique en dénonçant les limites de la foi pratiquée sans humilité ni discernement, par Brigitte Pian en l'occurrencela belle-mère de Louis : "... j’ai vraiment centré ce livre autour de la folle dévotion" ("Souvenirs retrouvés" 1981). "La Pharisienne" peut donc être vu comme une satire de la sainteté.

"Était-elle une sainte ? Elle s'y efforçait en pleine conscience et, à chaque pas en avant, défendait contre toute contestation le terrain conquis. Il ne s'était jamais rencontré personne pour lui apprendre qu'un homme, à mesure qu'il fraie sa route vers la sainteté, découvre un peu plus sa misère et son néant et rapporte à Dieu seul, non par dévotion mais parce qu'il cède à une évidence, les quelques bons mouvements que la Grâce lui inspire. Brigitte Pian suivait le chemin inverse, renforçant de jour en jour les raisons qu'elle avait de remercier le Créateur qui l'avait faite créature si admirable."

Pierre Masson, dans une analyse pointue (Persée), veut pénétrer plus avant les êtres de François Mauriac et écrit : "Le refoulement de la sexualité, qui entraîne sa réprobation à l'égard des autres, est clairement désigné chez deux, voire trois personnages: Brigitte, femme « à la nature de feu » qui voit dans toutes ses semblables « des chiennes », Louis le jaloux, obsédé par l'amour de Michèle et de Jean, et même à un moindre degré l'abbé Calou, qui n'hésite pas à briser la liaison d'Hortense Voyod et de son amie, ont à l'égard de la sexualité la même attitude fascinée et répressive qui les amène, supposant le mal partout, à vouloir le prouver pour mieux le combattre ; le refoulé se fait inquisiteur, quand ce n'est pas tyran."

Un film en 1980 (Gilbert Pineau). 
Mauriac prolonge plusieurs personnages dans "L'agneau" (1954). 
Et toujours cet admirable style choisi.

10 commentaires:

  1. Mais oui, Mauriac! Il va bien falloir que je lise ou relise ses romans. Les auteurs d'une certaine époque sont injustement oubliés.

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    1. Il est parfois lourd quand il aborde ses questions de foi, de conscience religieuse – sujets abordés autrement aujourd'hui – mais quel style !
      "La pharisienne" que certains jugent en-dessous d'autres grands titres: c'est vraiment très bien.

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  2. Mauriac il y a une éternité que je ne l'ai plus lu, un titre que je ne connaissais même pas

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    1. Bizarre qu'on ne connaisse pas bien ce titre, édité pendant la guerre sous la Propaganda-Abteilung à 5000 exemplaires. Grasset est intervenu auprès des autorités allemandes pour porter le tirage à 25000.

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  3. Un roman de Mauriac que je n'ai pas lu, je retiens le titre pour cette "modernité" dont vous parlez.

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    1. À vous de voir. J'ai lu la suite "L'agneau" il y a si longtemps que je ne m'en souviens pas.

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  4. Il faudrait que je le relise car il fait partie de mes lectures de grande adolescente . Cela commence à faire un peu loin !

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    1. Pareil pour moi avec Mauriac, cette distance fait que j'ai retrouvé avec plaisir un quelque chose de ma «grande adolescence».

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  5. Je viens de lire un autre roman de Mauriac, et j'ai trouvé cela assez daté quand même. Il faudra que je réessaye, peut-être avec celui-ci.

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    1. Je dois normalement (re)lire "L'agneau", j'essaierai d'en mesurer sa «péremption». Cela ne m'a pas gêné dans "La pharisienne".
      Le problème se situe moins dans l'écriture que dans certains thèmes qui, effectivement, peuvent apparaître désuets.

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