Il paraît que jadis, Liège était rouge sang de bœuf.
Parfois, en souvenir de ces jours-là, on remet à neuf quelque vieil édifice. Celui-ci rougit alors. Et le badaud s'émeut : quelle horreur !
Qu'il se rassure : à Liège, la résurrection du rouge est vaine. Car, nul ne le contestera, la couleur de Liège, aujourd'hui, c'est le gris.
[...].
Lorsqu'on est dans la ville, et que l'on a abandonné ces perspectives qui font rimer grisaille et rocaille [Meuse et Ourthe], alors on a là, sous les pieds, le gris de certaine pierre que l'on aime fouler, et qui, lorsqu'on l'use, laisse apercevoir le blanc des coquillages, des crinoïdes et des bélemnites, ce gris tellement noir qu'on appelle pierre bleue cette grise pierre à entroques.
Puis là, c'est le gris tendre des façades dans les rues à meneaux. Un gris perle, sans doute la couleur la plus photogénique qui soit pour le photographe (photographe ! un mot signifiant : celui qui écrit la lumière). Et si le photographe aime le mot argentique, c'est parce que ce gris-là est d'argent. Et du coup, comme il n'y a pas de lumière sans ciel, ce gris-là a gardé lui aussi quelque chose de bleu. Et comme il est écrit, ce gris-là a aussi gardé quelque chose de l'encre.
On dit aussi «Il fait gris». Alors, c'est cette harmonie que l'on peine à voir. Harmonie parce que l'ombre est absente. Mais que l'on peine à voir, parce que si l'ombre est absente, c'est que la lumière aussi est absente. Ce gris-là est celui des nuages qui se traînent, et qui se confondent avec la Meuse qui se traîne, les longs mois de cet hiver qui lui aussi se traîne de novembre à mars. Et alors tous les chats sont gris (gris souris, même), même si ce n'est pas la nuit. Et c'est un gris de souffrance, qui évoque le grisou. Et qui force le petit coq à penser qu'il devra un jour relever sa crête.
[...].
À l'instar des petites mythologies belges, Jean-Marie Klinkenberg, propose, en duo avec le Rossel 2017 (Ulg), une imagerie de sa ville vue d'un œil critique et ironique. Une lecture adaptée aux Liégeois et familiers de l'endroit. On y dépasse heureusement les lieux communs de la Cité Ardente et l'autochtone s'étonnera – oufti ! – de ne pas la connaître avec cette perspicacité. Et c'est bien observé : les auteurs signalent même les «vestales», ces dames qui stationnent à côté des chauffeurs de bus (copines, épouses, maîtresses ?), qui dédaignent l'interdiction de stationner sur la plate-forme. Ou encore, depuis le Parc de la Boverie, cette étroite minuscule maison du Quai de Rome, coincée entre deux buildings, qu'on pensait être seul à avoir repérée : elle serait occupée par un relieur d'art.
Comme dans les mythologies précédentes, un chapitre est consacré à l'illusoire identité objective (liégeoise ou autre) et aux mécanismes du discours principautaire qui donnent sens aux pratiques des citoyens de Liège.
Amusant et fin, ce recueil n'a rien de définitif, précisent les auteurs, Liège est plurielle et ne leur appartient pas.
Comme dans les mythologies précédentes, un chapitre est consacré à l'illusoire identité objective (liégeoise ou autre) et aux mécanismes du discours principautaire qui donnent sens aux pratiques des citoyens de Liège.
Amusant et fin, ce recueil n'a rien de définitif, précisent les auteurs, Liège est plurielle et ne leur appartient pas.
Et Liège est effectivement rouge ?
RépondreSupprimerje n'y suis jamais allée ce qui est dommage parce que ce n'est pas si loin mais j'ai préféré Gand et Bruges pour des raisons muséales (pas certaine que le mot existe)
Liège pas rouge ? Si l'on parle politique ou football, quand même un peu...
SupprimerSérieusement, la ville possède quelques bâtiments restaurés en rouge (cherchez la collégiale Saint-Barthélémy) , mais ce n'est pas affreux du tout et n'enlève rien au cachet gris.
Si si, Gand et Bruges sont incontestablement plus muséales; je suis attiré par Gand, je m'y sens bien. Mais les autorités liégeoises font des efforts pour améliorer l'intérêt touristique.
Le livre se penche sur les affinités avec la France et Paris. Il y a un feu d'artifice le 14 juillet, pas le 21...
Quel beau texte ! Je suis de mon côté effrayée par cette omniprésence du gris et du noir dans le monde occidental : nos vêtements, nos meubles, nos maisons. Je m'interroge vraiment sur ce que cela veut dire. Un refus de la vie ? J'ai décidé cette année de ma lancer dans la couleur.
RépondreSupprimerJe suis fort sensible (positivement) aux gris peut-être à cause d'une assez longue période ou j'ai appris la peinture aquarelle : on y découvre une infinité de nuances grises fantastiques, qui à mes yeux n'ont rien de triste. Ce n'est pas seulement mélange de noir et blanc.
SupprimerQuant aux couleurs, je préfère les tons pastels.
Mais voilà les goûts et les couleurs...
Très beau texte qui donne envie de lire ce duo. Une lecture très excitante pour qui connaît bien Liège, comme vous.
RépondreSupprimerIl y a un lien affectif qui nous lie à la ville qu'on connaît depuis tout petit. Mais il y a aussi beaucoup de mutations oů nous voyons disparaître ce qui la faisait nôtre.
SupprimerC'est dans ce livre-là que Bart Jungmann (Luik. Een liefdesverklaring, uitg. Pluim, 2024) puise la définition du mot "oufti" :-)
RépondreSupprimerJ-M Klinkenberg a aussi écrit les "Petites Mythologies Belges" (2003, 2009). Anecdote : lors d'une présentation où j'avais acheté ce livre-là, il tenait à le dédicacer aux couleurs belges, au pinceau et à l'aquarelle. S'ensuivit une maladresse et – oufti ! – un gros pâté.
SupprimerJe possède donc un exemplaire unique ;-)