30 novembre 2018

Poussière du passé, qu'un vent stérile agite

Pourquoi n'y a-t-il que quelques monuments aux morts qui affichent, et parfois après bien des péripéties judiciaires, un modeste «Maudite soit la guerre!», et aucun qui ne reprend les vérités de ces «enfants de la patrie», tués au front ou revenus défigurés, handicapés et à tout le moins traumatisés ? Pour perpétuer fidèlement le souvenir, pour respecter honnêtement ce qu'aurait été très certainement les vœux des tués et de beaucoup de blessés, pour l'édification objective des foules, il faudrait des véritables monuments de l'authenticité, qui jetteraient à la face du passant la cervelle éparpillée par la mitrailleuse, le sang bouillonnant en geyser d'une gorge sectionnée par un couteau de tranchée, les excréments dégorgeant des viscères dilacérés par le shrapnel, et encore des morceaux de mâchoire, de bras et de pieds dispersés par l'obus ! [...]. La sacralisation est mensongère, les mots des monuments aux morts ne sont que novlangue. Rajoutons une couche dans la dénonciation de la vaste supercherie de cette entreprise funéraire monumentaire mémorielle: elle n'échappe pas à la loi d'airain du spectaculaire-marchand, car elle fit l'objet, en de nombreux cas, de juteux marchés avec des édiles corrompus. Il y eut aussi de lucratifs trafics sordides, quand furent vendus, y compris aux familles, les soi-disant ossements de leurs morts pour la patrie ; une terrible illustration en est donnée par Pierre Lemaître dans son Au revoir là-haut (2013).

Gian Laurens - "14-18 La réalité cachée"

Nestor Outer

8 commentaires:

  1. Un bon passage pour donner une idée du style, et donner envie!

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    1. Il y a de la colère par moment dans ce livre.

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    2. Comment ne pas ressentir de la colère, une fois qu'on est au courant de certains faits?

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  2. Le seul point positif de ces monuments, c'est de nous donner le nom de ceux qui ont vécu ce drame. Personne aujourd'hui je pense, ne frissonne de fierté patriotique devant ces statues pleines le plus souvent de gloriole, mais les noms sont toujours là et je la plupart d'entre nous les lisent avec respect et colère.

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    1. Les noms, d'accord. Mais cette gloriole ridicule...

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  3. Je ne suis pas sûre que ce seraient les vœux des tués et de beaucoup de blessés qu'on les réduise à ces images de la terrible boucherie que fut la grande guerre : pour l'histoire, contre l'ignorance, sans doute, mais pour leur dignité ?
    En lisant cet extrait, je revoyais des photos des "gueules cassées" montrées dans un reportage, le coup de poing est indéniable.

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    1. Que l'on hisse donc des drapeaux tachés de sang, aucune dignité humaine ne sera atteinte !
      Trop de dignité finit par indigner. C'est la guerre qui n'a pas de dignité. Surtout celle-là.

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    2. À propos des gueules cassées, le sujet est bien traité dans le film "La chambre des officiers" (François Dupeyron) tiré du livre éponyme de Marc Dugain. Cette scène remarquable où le personnage central dans un tram confronte son visage défiguré au regard d'une petite fille assise sur les genoux de sa mère. Il montre, en fait un jeu, et garde sa dignité.

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