La curiosité pour le repli littéraire de J. D. Salinger trouve une mince satisfaction dans ce paragraphe de l'unique biographie en français : "Les aventures de la famille Glass, Franny, Zooey, Seymour, etc., reflètent pleinement ses préoccupations à ce moment-là, sans atteindre à la drôlerie et à la liberté de ton qui ont fait sa singularité des débuts. Salinger a déserté l'adolescence, ses personnages ont pris de l'âge, quelques années supplémentaires en tout cas. La guerre n'est plus au centre de la création littéraire, la religion a pris la place et plus encore la quête mystique. Quelque chose s'est brisé. L'ampleur de la tâche qu'il s'est assignée serait-elle soudain devenue trop grande pour lui ? Pourtant, afin de se consacrer pleinement à l'écriture, il n'a conservé aucun de ses vieux amis, à l'exception de Donald Hartog. Il y a des années, l'idée était peu à peu venue à l'esprit que, tôt ou tard, une totale immersion lui serait nécessaire pour arriver à ce à quoi il voulait parvenir en tant qu'auteur de fiction. L'ambition lui a quelquefois été prêtée de vouloir bâtir, dans un registre personnel, une œuvre dont l'impact serait de l'ordre de À la recherche du temps perdu. Seule l'ouverture du fonds littéraire qu'il a laissé dira s'il a ou non réussi son pari." (Salinger intime", p.368).
Tout est dit, on n'en sait guère plus sur les intentions littéraires de l'écrivain vieilli et leur éventuelle matérialisation. Le feu sacré a disparu; a-t-il encore écrit dans l'intention de publier ? On doute de jamais découvrir une quelconque "Recherche" posthume ou un travail de cette envergure. Retiré à Cornish (New Hampshire) depuis 1953, la fin de sa vie le voit faire quelques voyages, il a une compagne dévouée, des amis en nombre limité, s'occupe de sa maison, s'entend bien ou mal avec ses enfants, fuit les journalistes et gère ses contrats (traductions, refus d'adaptations, etc., peu de chose puisque l'œuvre est limitée, mais lorsqu'on est pointilleux et méfiant, cela occupe). Bref, le Salinger assis sur une certaine réussite déçoit et l'on a, vers la fin du livre, de longs passages où l'homme, avant de regarder une série télé, bine son jardin, s'extasie devant les tiges volubiles de haricots et observe le manège d'un renard à l'orée d'un bois, comme vous et moi, alors qu'on allait, sans trop se l'avouer, à la rencontre d'un géant.
Ceci non pour blâmer la biographie réalisée par Denis Demonpion qui a fait un travail journalistique objectif et complet, quoiqu'il y soit trop peu question de littérature à mon goût. La tâche n'était pas facile, à l'instar de ceux qui se sont heurtés aux barrières de la vie privée de l'auteur (voir Ian Hamilton, 1988). Même chose pour le suédois Fredrik Colting qui écrivit une suite à "L'attrape-cœur" et n'imaginait pas les épreuves judiciaires que lui ferait subir le coriace Américain.
Lorsqu'en 2006, Jean-Paul Enthoven, chez Grasset, lui a suggéré de tenter ce travail, Demonpion est parti en reconnaissance et a vite compris, averti par le voisinage, qu'il serait impossible d'approcher le personnage ni même sa femme Colleen. Le chemin fut long jusque 2018 et Robert Laffont, car la direction de Grasset s'opposait à ce livre, pour finir par éditer la semi-fiction "Oona & Salinger" (F. Beigbeder) en 2014, quatre ans après la mort de l'écrivain à 91 ans .
Les biographes étaient les bêtes noires de Salinger : "Selon lui, un auteur n'a pas à commenter l'œuvre qu'il écrit. Sa force d'expression seule doit suffire à convaincre le lecteur de ses intentions. tout le reste ne relève que de l'exhibitionnisme, un travers qu'il abhorre." Ceci explique peut-être en partie son retrait. Il avait aussi gardé des traces psychologiques de la guerre en Europe, il fut du débarquement et de la bataille des Ardennes. Demonpion note que, dans les années cinquante, "N'ayant par moments goût à rien, il n'aspire qu'à des instants de calme où on se sent si bien qu'on dirait du bonheur. Un bon moyen, selon lui, de se préserver du «comportement de l'être humain» consiste à se replonger dans l'écriture." Mais qu'écrivit-il après "Franny and Zooey" (1961) ?
"Salinger était très méticuleux, il avait tout supervisé de la couverture à la qualité du papier en passant par l'espacement entre les lignes, c'était incroyable." lit-on dans le Figaro (2010). Il était dur en affaires et suspicieux sur le devenir de ses textes, ce qui explique peut-être qu'il n'existe, selon mes sources, aucune anthologie exhaustive de ses écrits. Ses nouvelles des débuts, publiées dans diverses revues, précisément notées dans la biographie, vaudraient une réédition. Elles sont pour la plupart non traduites à ce jour. La traduction française de "L'attrape-cœur" par Sébastien Japrisot fut jugée trop libre par l'auteur qui protesta chez Robert Laffont. Il préféra celle d'Annie Saumont, "moins échevelée".
Un récit journalistique qui vaut surtout par sa première partie où Jerome David Salinger, jeune écrivain ambitieux et tenace, accède à la notoriété, avant d'en mesurer l'incompatibilité avec un caractère authentique, altier et farouche.
Lorsqu'en 2006, Jean-Paul Enthoven, chez Grasset, lui a suggéré de tenter ce travail, Demonpion est parti en reconnaissance et a vite compris, averti par le voisinage, qu'il serait impossible d'approcher le personnage ni même sa femme Colleen. Le chemin fut long jusque 2018 et Robert Laffont, car la direction de Grasset s'opposait à ce livre, pour finir par éditer la semi-fiction "Oona & Salinger" (F. Beigbeder) en 2014, quatre ans après la mort de l'écrivain à 91 ans .
Les biographes étaient les bêtes noires de Salinger : "Selon lui, un auteur n'a pas à commenter l'œuvre qu'il écrit. Sa force d'expression seule doit suffire à convaincre le lecteur de ses intentions. tout le reste ne relève que de l'exhibitionnisme, un travers qu'il abhorre." Ceci explique peut-être en partie son retrait. Il avait aussi gardé des traces psychologiques de la guerre en Europe, il fut du débarquement et de la bataille des Ardennes. Demonpion note que, dans les années cinquante, "N'ayant par moments goût à rien, il n'aspire qu'à des instants de calme où on se sent si bien qu'on dirait du bonheur. Un bon moyen, selon lui, de se préserver du «comportement de l'être humain» consiste à se replonger dans l'écriture." Mais qu'écrivit-il après "Franny and Zooey" (1961) ?
"Salinger était très méticuleux, il avait tout supervisé de la couverture à la qualité du papier en passant par l'espacement entre les lignes, c'était incroyable." lit-on dans le Figaro (2010). Il était dur en affaires et suspicieux sur le devenir de ses textes, ce qui explique peut-être qu'il n'existe, selon mes sources, aucune anthologie exhaustive de ses écrits. Ses nouvelles des débuts, publiées dans diverses revues, précisément notées dans la biographie, vaudraient une réédition. Elles sont pour la plupart non traduites à ce jour. La traduction française de "L'attrape-cœur" par Sébastien Japrisot fut jugée trop libre par l'auteur qui protesta chez Robert Laffont. Il préféra celle d'Annie Saumont, "moins échevelée".
Un récit journalistique qui vaut surtout par sa première partie où Jerome David Salinger, jeune écrivain ambitieux et tenace, accède à la notoriété, avant d'en mesurer l'incompatibilité avec un caractère authentique, altier et farouche.
Je m'interroge parfois, sur ses biographies que l'auteur ne voulaient pas voir écrites. Bien sûr l'histoire de la littérature peuvent les justifier, mais pourquoi ne pas respecter aussi cette volonté là ?
RépondreSupprimerVous avez raison. Et il faut reconnaître que toutes les biographies qu'on a faites n'apportent pas grand chose, mais la curiosité est là et j'ai moi-même voulu en savoir plus... Et les éditeurs veulent vendre.
SupprimerJe préférerais voir un recueil des œuvres complètes (et bien traduites), y compris les moins fameuses.
je sais depuis peu qu'il fut le premier amour de Oona qui devint ensuite la femme de Charlie Chaplin
RépondreSupprimerOona O'Neill est le grand amour déçu de Salinger, il était vraiment pincé, plus qu'elle, il aura toujours une dent contre Chaplin. Il a eu une épouse après la guerre, une allemande qui a vite quitté les USA, puis un mariage plus durable avec Claire Douglas qui finira par divorcer, la vie isolée avec Salinger n'était pas facile.
SupprimerColleen O,Neill sera la dernière, une infirmière qui le suivra jusqu'au bout. Il a eu deux enfants avec Claire dont Margaret qui le «trahira» dans une biographie agressive.
Je suis assez de l'avis d'Annie, peut-être faut-il garder tout son mystère à ce genre d'écrivain ? D'ailleurs, si je lis bien votre billet, il ne se laisse finalement pas tellement approcher.
RépondreSupprimerPas commode, comme le suggère cette photo dont je ne connais pas les circonstances. Voir
Supprimerhttps://blog.graphe.it/2010/01/30/jerome-david-salinger-1919-2010