Depuis belle lurette, il y a dans ma vitrine de livres une statuette de Don Quichotte et Sancho Pança. J'ai de l'affection pour cet objet, cadeau d'une personne proche, bien que je n'aie pas lu entièrement le roman médiéval de Cervantes. Michel Serres, dans un hors-série de "Philosophie Magazine", exprime un autre sentiment qui traduit mon attachement aux deux figures.
"Je pense que Don Quichotte est un des plus grands livres de l'humanité. Qu'est-ce que la culture ? Le mot a deux sens : on dit qu'un homme est cultivé lorsqu'il a lu beaucoup de livres, qu'il a fréquenté les musées, qu'il est allé au concert. Bref, il a une culture que j'appellerai académique. Second sens, ethnologique : les mœurs et coutumes d'un village, d'une culture donnée : la façon de s'habiller, la façon de raconter des histoires, de faire les fêtes , de danser. Ce sont deux sens très différents. On a coutume de penser qu'un homme très cultivé a un certain mépris pour ces habitudes de villages – et que ceux qui sont du village ne connaissent pas, sont en dehors de la culture académique. Le roman de Cervantes a ce coup de génie incroyable : associer les deux. Don Quichotte est ivre de livres, il a tellement la culture académique que tout le monde ressemble pour lui à un héros de livre, ou à un monstre comme les moulins à vent. Tandis que Sancho Pança est toujours dans les proverbes – qui n'ont pas d'auteur. Il ne cite pas les auteurs, contrairement à l'homme cultivé, qui ne dit pas que «la joie est importante», mais «Spinoza dit que la joie est importante». Sancho Pança n'a pas de références, mais conte des histoires qu'on lui a racontées. Il exprime ainsi une culture au sens ethnologique. Il est extrêmement rare qu'un auteur ait le génie de rapprocher les deux et de les faire vivre ensemble. Qu'est-ce que la culture, véritablement : c'est ce rapprochement ! La culture est à la fois populaire et savante, sans mépris réciproque."
Extrait de "Le monde selon Michel Serres"
"Je pense que Don Quichotte est un des plus grands livres de l'humanité. Qu'est-ce que la culture ? Le mot a deux sens : on dit qu'un homme est cultivé lorsqu'il a lu beaucoup de livres, qu'il a fréquenté les musées, qu'il est allé au concert. Bref, il a une culture que j'appellerai académique. Second sens, ethnologique : les mœurs et coutumes d'un village, d'une culture donnée : la façon de s'habiller, la façon de raconter des histoires, de faire les fêtes , de danser. Ce sont deux sens très différents. On a coutume de penser qu'un homme très cultivé a un certain mépris pour ces habitudes de villages – et que ceux qui sont du village ne connaissent pas, sont en dehors de la culture académique. Le roman de Cervantes a ce coup de génie incroyable : associer les deux. Don Quichotte est ivre de livres, il a tellement la culture académique que tout le monde ressemble pour lui à un héros de livre, ou à un monstre comme les moulins à vent. Tandis que Sancho Pança est toujours dans les proverbes – qui n'ont pas d'auteur. Il ne cite pas les auteurs, contrairement à l'homme cultivé, qui ne dit pas que «la joie est importante», mais «Spinoza dit que la joie est importante». Sancho Pança n'a pas de références, mais conte des histoires qu'on lui a racontées. Il exprime ainsi une culture au sens ethnologique. Il est extrêmement rare qu'un auteur ait le génie de rapprocher les deux et de les faire vivre ensemble. Qu'est-ce que la culture, véritablement : c'est ce rapprochement ! La culture est à la fois populaire et savante, sans mépris réciproque."
Extrait de "Le monde selon Michel Serres"
Coincidence, là justement M Serres est sur France Inter...
RépondreSupprimerJe ne saurais trop vous conseiller de l ire entièrement don quichotte!
Ce billet était prévu pour la semaine prochaine, le décès de M. Serres m'a poussé à le déplacer aujourd'hui.
SupprimerCet objet est très beau. Moi aussi, je dois lire Don Quichotte. Je n'ai lu que le début mais je compte bien m'y mettre mais il faut que j'ai du temps pour bien assimiler toutes les histoires et les références...
RépondreSupprimerJ'aimerais reprendre "Don Quichotte", il y a deux façons, soit lire une version brute, sans notes, du genre traduction de Aline Schulman, ou alors la version Pléiade. Cela mérite réflexion. La question du temps est importante, même pour moi qui suis retraité, j'ai d'autres activités que je ne tiens pas à abandonner pour la lecture.
Supprimerje suis comme vous je ne l'ai jamais lu de bout en bout, à force de lire de nombreux passages j'ai presque l'impression d'avoir fait cette lecture
RépondreSupprimercet objet est splendide, un cadeau comme on aime en recevoir et aussi en faire :-)
Oui, c'est ça. C'est pareil pour "La recherche", j'ai l'impression de l'avoir lu mais en réalité jamais de bout en bout.
SupprimerSi cela pouvait être compris par tous, le monde tournerait plus facilement. Encore une parole belle et équilibrée de Michel Serres, dont je viens à l'instant d'apprendre le décès.
RépondreSupprimerUn homme à l'esprit ouvert, toujours tourné vers l'optimisme sans nier les écueils.
SupprimerUne merveilleuse analyse de la part de cet homme extraordinaire. Son départ est une grande perte. Merci pour cet extrait : il montre à partir de ce Don Quichotte que j'aime tant combien Michel Serres était lumineux.
RépondreSupprimerBonne journée.
Michel Serres lumineux, très souvent, en effet. Merci.
SupprimerBel hommage à Michel Serres, l'extrait me fait penser aussi, bien que son caractère soit différent, à Thyl Ulenspiegel et à son compagnon Lamme Goedzak dans le roman de Charles de Coster.
RépondreSupprimerJ'aime cette sculpture. Cela vous amusera peut-être de savoir que j'ai dans ma bibliothèque un carreau de céramique qui représente Don Quichotte et Sancho Pança sur leur monture près d'un moulin à vent, cadeau d'une amie attentionnée.
Ah oui, Ulenspiegel et Goedzak, il y a des similitudes avec le duo espagnol, Camille Huysmans dans son commentaire pense que Goedzak a été façonné à partir du Sancho espagnol.
SupprimerJe trouve ces figures en bonne place dans une bibliothèque.
Les deux compères sont à ma droite, tout près de mon bureau, me surveillent-ils ?
RépondreSupprimerMaintenant que tu le dis, chaque fois que je me tourne vers eux, j'ai l'impression qu'ils font semblant de rien...
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