13 février 2025

Hôtel de France

D'un geste du bras, j'arrêtai la femme de chambre qui portait ma valise.

– Les anciennes chambres sont-elles toutes occupées ?
– Oh! Non, monsieur ! Nous les donnons lorsque toutes les chambres modernes sont louées, et cette semaine, ce n'est pas le cas.
– Alors, celle-ci, par exemple, est peut-être libre ?

Par la porte ouverte, j'apercevais une de ces chambres que j'avais entrevues dans mon enfance et qui m'avaient fait rêver.
Le parquet était fait de très larges planches usées et affaissées par le temps. Le lit – un lit «bateau» – paraissait plus élevé encore par l'édredon rouge qui le surmontait. Le coffre de la cheminée avait conservé ses boiseries Directoire aux lignes pures. D'autres boiseries plus anciennes, nettement dix-huitième, et empâtées de peinture, montaient jusqu'à mi-hauteur de la pièce. Une table ronde et un honnête fauteuil à oreillettes donnaient envie de lire « Le Constitutionnel ». La table de toilette, au marbre blanc, supportait une immense cuvette et un pot à eau ventru et minuscule. La cuvette devait absorber le contenu de deux pots à eau comme celui-là. Je n'ai jamais pu savoir exactement comment se lavaient nos pères qui utilisaient de semblables pots à eau.
Une glace dorée, fort laide, était fixée au-dessus de la cheminée. Chaque siècle avait ainsi apporté sa marque à cette chambre. La dernière alluvion avait été la moins heureuse : elle avait apporté deux chromos de baigneuses.
Mais, malgré cet invraisemblable mélange de styles, la chambre gardait sous ses solives apparentes, cet indéfinissable attrait qui s'attache aux choses du passé. Les murs, le cadre, n'avaient pas changé depuis deux siècles et quant au mobilier, à quelques détails près, l'ensemble était le même qu'en 1830. Bien des humains laissent aux vieilles chambres le curieux magnétisme de leurs souffrances et de leurs joies.

Comme la fille, surprise, ne répondait rien, je répétai donc :

– Celle-ci est peut-être libre ? 

Yves Dartois - Extrait de "L'horoscope du mort" [p 28-29]


Hôtel de France
Montreuil-sur-mer

6 commentaires:

  1. J'ai eu k'occasion de dormir dans cette sorte de chambre, il y flotte toujours une odeur indéfinissable, l'accumulation de toutes les humeurs qui les ont envahies et celles des bous vieillis

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    1. Merci pour cette impression concrète qui sent le vécu ;)

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  2. Cette description me rappelle certains hôtels d'étape où l'on s'arrêtait au petit bonheur la chance. Et aussi la maison de mes grands-parents, sans eau courante à l'étage, où les chambres au charme désuet avaient chacune un meuble de toilette avec broc et bassine en porcelaine devant la glace.

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    1. La grande maison de ma grand-mère maternelle, à Arlon, m'a sans doute poussé à proposer ce passage, parce que la description me la rappelle sous divers aspects surannés. J'y ai logé dans ma petite enfance. Elle s'est effondrée suite à une maladresse lors du creusement des fondations d'une habitation mitoyenne.

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    2. Oh, quel triste sort !

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    3. Ma grand-mère apercevant des crevasses se former sur les murs est heureusement sortie à temps. Le pignon écroulé, on voyait toutes les pièces dont la sorte de large mansarde où nous logions en vacances.

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