29 octobre 2025

Nouvelles lointaines

Groupe Elidia, 2025
Éditions du Rocher - Litos
315 pages



Traduit de l'anglais par G. Jean Aubry (sous la supervision de Joseph Conrad). 

"En marge des marées" ["Between the Tides"] (1915) comprend quatre nouvelles que Joseph Conrad a écrites de 1910 à 1914. La plus longue, la plus remarquable selon moi, est "Le Planteur de Malata", qui occupe les quatre dixièmes du livre.

Si la mer n'est pas le lieu ni le lien qui relie ces quatre textes, les bateaux, ports, îles et colonies lointaines sont assez présents pour que le lecteur comprenne que l'écrivain connut une carrière dans la marine.

"Le Planteur de Malata" se déroule dans la haute société d'une grande ville coloniale. Le planteur Renouard, qui possède la concession de l'île de Malata, a mouillé sa goélette dans ce port et est invité par la famille Dunster. Miss Moorsom, très belle, froide, aristocratique, y séjourne avec ses parents, car elle est à la recherche de son fiancé disparu dans la région. Renouard tombe éperdument amoureux de la demoiselle et tient à éviter qu'on retrouve le soupirant, afin de la conquérir. 
Atmosphère délicieuse, romantisme, une prose admirable et élaborée dont j'avais oublié le beau rythme : tous ingrédients pour se complaire dans cette nouvelle dramatique.

"L'associé" voit un vieux bateau saboté pour toucher la prime de l'assurance, mais rien ne se passe comme prévu.

J'ai adoré "L'Auberge des Deux Sorcières (Une Trouvaille)" qui se déroule sur la côte ibérique nord, durant la guerre d'Espagne. Un marin disparaît mystérieusement dans une auberge tenue par deux vieilles d'aspect inquiétant. Un jeune officier part à sa recherche. Frisson et action.

"À cause des dollars" clôt le recueil avec la mésaventure d'un homme très bon au sourire triste. Le brave perdit son sourire à cause de vieux dollars retirés de la circulation qui conduisent au drame.

Quatre histoires où je ne me suis pas ennuyé une seconde, lues rapidement et avec enthousiasme. 

Dans une note préliminaire très intéressante, Conrad cite quelques commentaires et critiques formulées à l'encontre de ce recueil lors de sa publication. [Afin de ne pas voir les sujets déflorés, je conseille de consulter cette note à l'issue de la lecture des nouvelles].

La première remarque blâme Conrad de se complaire à évoquer des gens de mer, qui vivent sur des îles solitaires, libérés des entraves du monde civilisé ; ce qui lui autoriserait une plus grande liberté d'imagination, ainsi qu'un jeu plus libre dans le choix de ses personnages et sujets. 
Conrad répond que le simple fait d'avoir à traiter des sujets éloignés du cours ordinaire de l'expérience quotidienne l'a mis dans l'obligation de demeurer encore plus scrupuleusement fidèle à la vérité de ses propres sensations. Le problème a consisté à rendre vraisemblable des sujets inaccoutumés. Pour cela, il a dû créer pour eux l'atmosphère même de leur réalité. L'écrivain reconnaît que ce fut la tâche la plus difficile. [pp 11-13]

Un ami apprécié de l'auteur émit l'opinion que dans la scène dite "du rocher" [pp.125-133] entre Renouard et Miss Moorsom, tournant psychologique du récit, les personnages ne trouvent pas ce qu'il conviendrait qu'ils se disent. En relisant ce dialogue pour la présente édition, Joseph Conrad considère que son ami a [en partie] raison dans le sens où les personnages sont "un peu trop explicite à l'endroit de leur émotion, et qu'ils détruisent ainsi, dans une certaine mesure, ce prestige illusoire qui caractérise leur personnalité."
Il ajoute : "Je le regrette vivement car je considère Le Planteur de Malata comme la presque réalisation de la tentative que j'avais entrepris de faire une chose très difficile, et que j'eusse aimé avoir accomplie aussi parfaitement qu'il m'était possible." [p.15]

Si certains auraient aimé voir une autre issue à cette histoire, je considère que le tragique sied à l'atmosphère qui nimbe le récit. L'auteur ne montre pas une satisfaction excessive et je le trouve sévère envers lui-même.

Les trois autres récits, chacune ayant sa couleur, n'appellent d'autre commentaire que celui de les voir former, avec "Le planteur de Malata", "un ensemble plus grand que les parties" [p 14], remarque que l'auteur prend comme un hommage. Il a en effet produit ces contes à des époques différentes, en des lieux très éloignés les uns des autres et sans qu'ils soient le produit d'une même disposition d'esprit. [p.14]


Merci à Babelio (Masse Critique) et aux éditions Litos.

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