La chambre de l'écrivain
... Où que s'arrêtent son regard ou sa pensée, il semble qu'il découvre une nouvelle connexion, une autre passerelle vers un autre lieu, et même dans la solitude de sa chambre le monde se précipite sur lui à une vitesse vertiginieuse, comme si soudain tout convergeait vers lui, coimme si tout lui arrivait en même temps. Coïncidence: ce qui survient avec. Ce qui occupe le même point dans le temps ou dans l'espace. L'esprit, donc, en tant que ce qui contient plus que soi-même. Comme dans la phrase de Saint-Augustin: "Alors où reflue ce qu'il ne peut contenir de lui ? "
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Une grammaire de la vie
(...), A. irait jusqu'à soutenir que les événements d'un vie peuvent aussi rimer entre eux. Un jeune homme loue une chambre à Paris et puis découvre que son père s'est caché dans la même chambre pendant la guerre. Si l'on considère séparément ces deux faits, il n'y a pas grand chose à en dire. Mais la rime qu'ils produisent quand on les voit ensemble modifie la réalité de chacun d'eux. De même que deux objets matériels, si on les rapproche l'un de l'autre, dégagent des forces électromagnétiques qui affectent non seulement la structure moléculaire de chacun mais aussi l'espace entre eux, modifiant, pourrait-on dire, jusqu'à l'environnement, ainsi la rime advenue entre deux (ou plusieurs) événements établit un contact dans l'univers, une synapse de plus à acheminer dans le grand plein de l'expérience.
De telles connexions sont monnaie courante en littérature (pour revenir à cette idée) mais on a tendance à ne pas les voir dans la réalité - car celle-ci est trop vaste et nos vies sont étriquée. Ce n'est qu'en ces rares instants où on a a la chance d'apercevoir une rime dans l'univers que l'esprit peut s'évader de lui-même, jeter comme une passerelle à travers le temps et l'espace, le regard et la mémoire. Mais il ne s'agit pas seulement de rime. La grammaire de l'existence comporte tous les aspects du langage: comparaison, métaphore, métonymie, synecdoque - de sorte que tout ce que l'on peut rencontrer dans le monde est en réalité multiple et cède à son tour la place à de multiples autres choses, cela dépend de ce dont celles-ci sont proches, ou éloignées, ou de ce qui les contient.
(...), A. irait jusqu'à soutenir que les événements d'un vie peuvent aussi rimer entre eux. Un jeune homme loue une chambre à Paris et puis découvre que son père s'est caché dans la même chambre pendant la guerre. Si l'on considère séparément ces deux faits, il n'y a pas grand chose à en dire. Mais la rime qu'ils produisent quand on les voit ensemble modifie la réalité de chacun d'eux. De même que deux objets matériels, si on les rapproche l'un de l'autre, dégagent des forces électromagnétiques qui affectent non seulement la structure moléculaire de chacun mais aussi l'espace entre eux, modifiant, pourrait-on dire, jusqu'à l'environnement, ainsi la rime advenue entre deux (ou plusieurs) événements établit un contact dans l'univers, une synapse de plus à acheminer dans le grand plein de l'expérience.
De telles connexions sont monnaie courante en littérature (pour revenir à cette idée) mais on a tendance à ne pas les voir dans la réalité - car celle-ci est trop vaste et nos vies sont étriquée. Ce n'est qu'en ces rares instants où on a a la chance d'apercevoir une rime dans l'univers que l'esprit peut s'évader de lui-même, jeter comme une passerelle à travers le temps et l'espace, le regard et la mémoire. Mais il ne s'agit pas seulement de rime. La grammaire de l'existence comporte tous les aspects du langage: comparaison, métaphore, métonymie, synecdoque - de sorte que tout ce que l'on peut rencontrer dans le monde est en réalité multiple et cède à son tour la place à de multiples autres choses, cela dépend de ce dont celles-ci sont proches, ou éloignées, ou de ce qui les contient.
(NB: A. est Paul Auster à la 3è personne. )
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Naufragé au cœur de la ville
Le soleil ne pénétrait pas dans sa chambre, place Pinel. Il avait tendu devant la fenêtre une épaisse étoffe noire et le peu de lumière qu'il tolérait provenait de quelques lampes de faible intensité, disposées à des endroits strtégiques. À peine plus grand qu'un compartiment de deuxième classe, cette chambre en avait plus ou moins la forme: étroite, haute, avec une seule fenêtre tout au fond. S. avait encombré cet espace minuscule d'une multitude d'objets, vestiges d'une vie entière: livres, photographies, manuscrits, fétiches personnels - tout ce qui représentait pour lui quelque importance. Le long de chaque mur, jusqu'au plafond, se dressaient des rayonnages; surchargés par cette accumulation, tous plus ou moins affaisés et inclinés vers l'intérieur, il semblait que la moindre turbulence risquat d'en ébranler l'édifice et de précipiter sur S. la masse entière des objets. Il vivait, travaillait, mangeait et dormait dans son lit. Juste à sa gauche, de petites étangères étaient encastrées dans le mur, vide-poches qui paraissait receler tout ce qu'il souhaitait avoir sous la main au cours de la journée: stylos, crayons, encre, papier à musique, fume-cigarette, radio, canif, bouteilles de vin, pain, livres, loupe. À sa droite se trouvait un plateau fixé sur un support métallique, qu'il faisit pivoter pour l'amener au-dessus du lit ou l'en écarter, et qu'il utilisait tour à tour comme bureau et pour prendre ses repas. C'était une vie de Crusoé: naufragé au coeur de la ville. Car S. avait tout prévu. Il avait réussi, malgré sa pauvreté, à s'organiser avec plus d'efficacité que bien des millionnaires. Il était réaliste, en dépit des apparences, jusque dans ses excentricités. Un examen approfondi lui avait permis de connaître ce qui était nécessaire à sa survie et il admettait ses bizarreries comme conditions de son existence. Son attitude n'avait rien de timoré ni de pieux, n'évoquait en rien le renoncement d'un ermite. Il s'accommodait des circonstances avec passion, avec un joyeux enthousiasme, et en y repensant aujourd'hui, A. se rend compte qu'il n'a jamais rencontré personne aussi porté à rire, de si bon cœur et si souvent.
(NB: A. est Paul Auster à la 3è personne. )
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Les voyages intérieurs
... Mais de même qu'un pas entraîne immanquablement le pas suivant, une pensée est la conséquence inévitable de la précédente et dans le cas où une pensée en engendrerait plus d'une autre (disons deux ou trois, équivalentes quant à leurs implications), il sera non seulement nécessaire de suivre la première jusqu'à sa conclusion mais aussi de revenir sur ses pas jusqu'à son point d'origine, de manière à reprendre la deuxième de bout en bout, puis la troisième, et ainsi de suite, et si on devait essayer de se figurer mentalement l'image de ce processus on verrait apparaître un réseau de sentiers, telle la représentation de l'appareil circulatoire humain (cœur, artères, veines, capillaires), ou telle carte (le plan des rues d'une ville, une grande ville de préférence, ou même un carte routière, comme celles des stations-service, où les routes s'allongent, se croisent et tracent des méandres à travers un continent entier), de sorte qu'en réalité, ce qu'on fait quand on marche dans une ville, c'est penser, et on pense de telle façon que nos réflexions composent un parcours, parcours qui n'est ni plus ni moins que les pas accomplis, si bien qu'à la fin on pourrait sans risque affirmer avoir voyagé et, même si l'on ne quitte pas sa chambre, il s'agit bien d'un voyage, on pourrait sans risque affirmer avoir été quelque part, même si on ne sait pas où.
Extraits de Paul Auster - L'invention de la solitude
Extraits de Paul Auster - L'invention de la solitude
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