8 mars 2012

La vie très privée de Mr Sim - Jonathan Coe

Jonathan Coe himself démontre jusqu'à la dernière ligne de ce roman toute son habileté pour mener son lecteur et son personnage par le bout de nez. Guidé ainsi, je ne me suis jamais ennuyé et n'ai senti aucune aigreur d'estomac devant les multiples petits drames épouvantables vécus par Maxwell Sim. Celui-ci apparaît pourtant comme un soi potentiel navrant. La dérision perceptible derrière chaque situation (du flegme !) engendre assez de distance pour éviter de sombrer dans l'amertume, mais elle incite aussi à toucher du doigt certains aspects préoccupants de la civilisation moderne.

C'est un avis très personnel mais j'ai cru voir du Peter Sellers et même du Mr Bean dans ce personnage. Un antihéros de la middleclass, touchant, loser - je ne veux pas dire raté, ce serait trop dur pour Mister Sim qui ne le mérite pas, qui lit bravement les manuels high-tech sans vraiment intégrer ces objets dans son quotidien. Avec son GPS baptisé Emma, il vit une passion décalée: la passagère rêvée parle sans le contrarier, humble, efficace et neutre. Ce dernier mot justement, neutre, insipide, sans vie propre, la désincarnation hante le récit: l'individu sans corps et sans relief, le réseau des êtres immatériels au bout du wi-fi planétaire, visages-vignettes figés et fantômes. Des êtres cosmiques selon les mots du navigateur solitaire Crowhurst1, devenu fou en mer, écrasé par la pression de son manager, poussé à la mort plutôt que de révéler sa tricherie, plutôt qu'apparaître dans son humanité. Une victime précoce de l'image de marque.
Sim, largué par sa femme, pas très proche de son père, délaissant un emploi stable pour pour se lancer dans la campagne de promotion de produits d'hygiène bucco-dentaire désopilants, n'effectue pas toujours les bons choix et il consterne autant qu'il amuse par son inertie, sa distraction et sa malchance. Son voyage en voiture à travers l'Angleterre, avec ses caisses de brosses à dents en soie de sanglier, se transforme en re-visitation du passé avec des révélations qui l'amènent à voir ses proches sous de nouvelles perspectives. Et ce qu'il connaît de lui-même n'est peut-être pas si certain... car l'auteur n'a pas de scrupules à sortir des lapins gigognes de son chapeau d'illusionniste.

Les textes occupent une place déterminante dans l'intrigue. Il détiennent des confidences inattendues qui redistribuent les cartes des sentiments. Leur support est varié: pièce jointe au courriel de l'ex-épouse, lettre sur écran de portable, feuilles d'un travail d'étude de l'ex-possible fiancée, récit autobiographique du père dans un carnet. Pouvoir du document écrit, support de confession innocent et discret, intime et indéniable.

Jonathan Coe a affirmé dans une interview: L'honnêteté, je l'atteins en échafaudant des mensonges. Il exprime bien par ces mots qu'au-delà du divertissement génial, il pense exprimer une réalité et je pense que ce roman devrait être abordé dans cette optique. Ainsi cette scène particulièrement significative: Monsieur Sim tournique à plein gaz dans un rond-point tandis que GPS-Emma imperturbable répète forcément la même consigne. Hilarant et d'une absurdité féroce. Du Chaplin made in XXIè siècle.

1 L'affaire Crowhurst sur laquelle s'attarde un chapitre du roman est une aventure singulière et mémorable de navigateur autour du globe, à l'heure où on retient surtout les Chichester, Tabarly et autres.  

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