15 octobre 2014

Amazon versus Hachette

Je tiens à relayer l'éditorial de Joseph Duhamel dans Le carnet et les Instants (téléchargez-le ici) d'octobre-novembre. Il revient sur le feuilleton de l'été qui oppose Amazon et Hachette aux USA et qui a conduit à la révolte de neuf cents auteurs. 

D'abord quelques reproches d'ordre éthique au géant américain :  subsides publics mais esquives d'impôts, conditions de travail déplorables pour des emplois sous-qualifiés, appel démagogique aux lecteurs de se mobiliser contre Hachette.  Le livre a été l'efficace ballon d'essai de Jeff Bezos pour progresser sur le net ; il est devenu à présent minoritaire dans le chiffre d'affaires d'Amazon, qui – je cite l'éditorial – ne s'est jamais conformé aux bons usages de l'interprofession du commerce du livre, préférant une pratique de l'opacité, de la rétention d'information et d'une communication manipulée. 

En utilisant le travail gratuit des lecteurs via leurs appréciations des ouvrages, la société a, comme le démontrent des internautes, manipulé les listes de livres pour favoriser les ouvrages les plus fructueux à vendre, répondant avant tout à une logique commerciale. 
De même, l'autoédition, cheval de bataille d'Amazon (déjà 150.0000 références, paraît-il), entraîne que nombre d'auteurs se plaignent, perdus dans la masse, uniquement lisibles par les clients du géant ou via l'appareil Kindle. 
Duhamel plaide pour la chaîne traditionnelle du livre – éditeurs, libraires, critiques, bibliothécaires – qui offre une plus-value culturelle essentielle, bien qu'elle s'inscrive aussi dans une logique commerciale. Un éditeur peut investir à perte dans un auteur auquel il croit. Le libraire assure le conseil au lecteur et la visibilité du livre. L'accompagnement du lecteur se fait par l'intermédiaire du bibliothécaire. Aux USA, une étude montre que 61% des gros lecteurs achètent sur l'internet, mais leur découverte ne s'y fait que dans 7% des cas. Le reste vient du travail des éditeurs, libraires, bibliothécaires, critiques (professionnels ou non) : ce travail-là a un coût et ne se brade pas , conclut Duhamel. Le maintien de la diversité éditoriale et créative est au centre des enjeux de la controverse Amazon -Hachette. Aux lecteurs d'être attentifs à ceux qui font vraiment vivre le livre.

Faut-il, dès lors, préférer un prix du livre élevé pour un meilleur service aux lecteurs et aux écrivains ?

12 commentaires:

  1. Sans rentrer dans la polémique, ce genre de phrase me fait sourire : "En utilisant le travail gratuit des lecteurs via leurs appréciations des ouvrages, la société a, comme le démontrent des internautes, manipulé les listes de livres pour favoriser les ouvrages les plus fructueux à vendre, répondant avant tout à une logique commerciale."
    En effet, que font les éditeurs aujourd'hui, si ce n'est la même chose ?

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    1. Je ne crois pas que les livres que je chronique, par exemple, soient issus d'une liste manipulée par tel ou tel éditeur, sinon la liste des livres qu'il édite parce qu'il les juge – quand même – rentable à court ou moyen terme.
      Il y a toujours des degrés dans l'honnêteté (ou pas) d'un logique commerciale. Je crois qu'Amazon n'en a cure.

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  2. J'ignorais que Le carnet & les instants était disponible en ligne, merci pour l'info.
    N'ayant jamais commandé de livre par internet - j'aime trop les librairies -, je suis étonnée des 61% d'achats en ligne selon l'étude américaine, ce qui s'explique, j'imagine, par les grandes distances et le manque de libraires dans certaines régions.
    Joseph Duhamel a raison d'insister sur les vrais "messagers" du livre et sur l'enjeu de la diversité culturelle. Il faut aussi que les éditeurs, y compris Hachette, résistent aux sirènes du "toujours plus commercial".

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    1. Je suis étonné comme vous de l'avoir trouvé en ligne. Je vois qu'il sont téléchargeables depuis 2011. Je ne sais pas si je vais continuer à conserver les anciens numéros papier qui commencent à rende de la place.
      La statistique provient de "Livres Hebdo" (61%). Faisons leur confiance.

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  3. Christw : Pascale a fait les frais d'une grande indélicatesse des éditeurs qui utilisaient ses chroniques sur leurs sites sans son aval bien entendu ! Amazon pratique largement la même chose puisque bon nombre de blogueurs en ont fait les frais
    mais plus largement leurs pratiques commerciales sont sidérantes et apparemment personne ne songe à y mettre fin en raison du chantage qu'ils imposent
    J'achète beaucoup en ligne ayant des problèmes de déplacements mais ...pas les livres par principe et par intérêt pour les librairies qui offrent du choix y compris des livres plus confidentiels
    En même temps les éditeurs ont donné le bâton pour se faire battre en n'acceptant pas de baisser le prix des livres numériques en particulier ceux qu'ils n'éditent plus ou l'équivalent de la version poche, de faire publier un nombre ahurissant de livres à la rentrée ce qui ne permet pas à un lecteur normal de s'y retrouver
    En privilégiant eux aussi parfois des textes "vendeurs"
    Amazon est déloyal mais parfois ils ont bien été aidé
    Heureusement on peut encore trouver de bonnes traductions, de belles rééditions, et de la poésie alors qu'il est évident que les éditeurs de poésie sont parfois en grande difficulté.

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    1. Pascale m'a en effet confié en aparté qu'elle avait subi le cambriolage de certaines de ses critiques. Aujourd'hui, elle ne se fait plus d'illusions sur la chaîne du livre.
      J'ai tendance à penser que l'esprit lucratif y prévaut entièrement sur la valeur culturelle, sans pour autant renoncer à dire ce que je crois bien, c'est la raison d'être de ce blog où je tente de laisser s'exprimer certaines voix.

      Je n'ai pas dit que la chaîne classique de l'auteur au lecteur ne devait pas être améliorée. Duhamel dans l'édito parle d'«adaptations souhaitables». Je partage votre point de vue général : votre attitude de n'acheter qu'en librairie est louable.
      J'espère pouvoir dire dans cinq ans que mes commandes de livres se font toujours hors ligne, malgré mes bonnes relations avec le personnel compétent des librairies proches.

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  4. J'essaie (en vain) de suivre les billets sur les blogs, mais faute de connexion, c'est difficile.
    Bref, j'ai acheté chez amazon à une époque, mais un détail (qui n'en est pas un, ils gardent les coordonnées bancaires, c'est dangereux) a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, donc c'est fini. Pourtant c'est bien pratique quand on habite loin d'une librairie.
    Je trouve finalement 90% de mon bonheur en médiathèque, salon du livre... ou librairie!

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    1. Je fais comme vous pour la plupart de mes lectures, c'est la médiathèque. J'achète plutôt les livres qui m'ont vraiment marqué, qui demandent plus de temps et qui paraissent mériter mon attention (ou peut-êtrecelle de mes survivants) au fil des années à venir.

      Ceci dit, quel problème de connexion rencontrez-vous ?

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  5. Il faut dire que les gens sont bizarres... Comme vous le savez, j’anime un site de commentaires de lectures hors de tout contexte commercial (ceux qui disaient que ce n'était pas possible, ont bien vu que si; ils le voient même depuis bientôt 10 ans) et proportionnellement, peu de lecteurs viennent y déposer leurs avis, alors qu'ils se précipitent en nombre incalculable pour travailler bénévolement pour une librairie en ligne qui est mue par les seuls impératifs commerciaux et qui ne leur fera pourtant aucun cadeau.
    Pourquoi font-ils cela? Je n'en ai pas la moindre idée. Ne voient-ils pas la différence? Ne voient-ils pas l’intérêt de cette différence?
    La nature humaine est encore pleine de mystère pour moi... mais si quelqu'un a des pistes de réponse, ça m'intéresse

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    1. Le succès de la librairie en ligne que vous évoquez est-il enviable à partir du moment où vous n'avez pas d'impératif commercial ? Le pourquoi de ce succès est le même que pour un réseau social comme facebook : la facilité, l'avis en un clic "j'aime", des commentaires godiches et confiture. La majorité du lectorat s'y retrouve et les livres que nous apprécions vous et moi ne font pas très souvent partie des choix de cette majorité. Si je cherche un avis, je ne vais pas là et choisirai plutôt Assouline ou... L/E.
      Je suis sur Babelio et ai pu mesurer que le nombre d'appréciations reçues est inversement proportionnel à l'exigence (je ne trouve pas d'autre mot) du livre/billet proposés. J'utilise d'ailleurs leur échelle de cotation en sens inverse, un deux étoiles étant plus souvent un indice de proximité avec mes souhaits que les cinq étoiles plébiscitées par ceux «qui s'y précipitent» évoqués par vous. Je dis ceci sans aucune volonté d'élitisme.

      De plus, un seul commentaire pensé est préférable à tous les qualificatifs sirupeux de la blogosphère livre qui sonne trop souvent creux. On dira que je m'en console, moi qui suis très peu commenté finalement après trois ans d'existence de Marque-pages. Pour avoir des commentateurs, il faut aller les «chercher», visiter leur blog, je trouve cela énergivore et au détriment de billets consistants.

      J'espère avoir un peu répondu à vos remarques, continuez Lecture/Écriture surtout.

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    2. Oh, ne vous inquiétez pas, je ne suis pas trop déçue (car L/E reçoit, par contre, beaucoup de visites) et pas du tout découragée. C'est toujours un plaisir et une passion. Non, c'est vraiment de l'incompréhension, mais ce n'est pas très grave. A défaut de comprendre, je constate, et je fais avec. Comme nous faisons tous, je crois.
      Longue vie aux libres parleurs littéraires!

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    3. D'un côté, c'est bien qu'il y ait un site exhaustif comme Babelio, qui permet de repérer TOUS les livres. Rares sont ceux qui ne figurent pas dans la banque de données. C'est un outil utile pour moi, même si les appréciations données sont à prendre avec précautions en fonction des préférences et du niveau de leurs auteurs.
      De même la vocation commerciale n'empêche en rien les avis éclairés sur n'importe quel livre.

      Que les acteurs bénévoles ne soient pas conscients des enjeux est une question d'information, de sensibilisation. Pour ma part, avec le présent article que je relaie, je pense avoir fait ce que je devais.

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