3 novembre 2014

Une pièce très reprise


Cette œuvre théâtrale a été créée entre les deux conflits armés les plus meurtriers de l'histoire. Alors que l'on pansait les plaies d'une guerre qui coûta 18 millions de morts, 1935 voyait s'approcher l'ombre d'un autre désastre qui causerait trois fois plus de pertes. Jean Giraudoux, qui considérait le théâtre comme la seule forme d'éducation morale ou artistique d'une nation, n'a cependant jamais voulu faire une pièce sur l'actualité politique de l'époque, malgré certaines allusions claires. Sa portée est plus large, se voulant une réflexion sur la guerre fortement liée la fatalité.
Hector est de retour d'une campagne de guerre, victorieux mais las, tandis que Hélène a été enlevée par Pâris. Une grande partie des Troyens ne veulent pas la rendre, fascinés par le charme de la belle grecque ou avides de guerre. Hector et les pacifistes parviendront-ils à maintenir les portes de la guerre fermées ? Le titre de l'œuvre augure une issue négative puisqu'on sait que cette guerre a eu lieu, ne fût-ce qu'en littérature[1]Le refus de la grandiloquence démythifie les héros troyens, devenus moins solennels. Les anachronismes établissent une connivence, parfois très érudite, avec le spectateur. Cette distanciation, principe même du théâtre giraldien, venue du heurt entre comique et tragique, confère à la pièce de Giraudoux une dimension réflexive efficace. 

Alors que la paix semble sauvée par les pourparlers entre Achille et Hector, les événements se précipitent tragiquement. Les efforts des négociations et la volonté de paix apparaissent soudain de peu de poids face au destin. Et que ce soit précisément celui qui veut éviter la guerre qui la provoque retentit comme un paradoxe terriblement ironique. Malgré la bonne volonté des hommes, existe une fatalité qui échappe à leur contrôle. Devant cette désignation de la force du destin, le critique Benjamin Crémieux décela une forme d'abdication chez l'humaniste qu'était Giraudoux. Lequel répliqua : Je m'attache à dénombrer ces forces obscures et à leur enlever ce qu'elles ont d'obscur, à les montrer en pleine clarté. Je fais mon métier; aux hommes qui m'écoutent, si je les ai convaincus, d'agir contre elles, de les briser.
Carcassonne , 2013
Bien que cela s'éprouve moins à la lecture qu'à la scène, l'analyse très complète du Petit Classique Larousse (de Françoise Latoublon) met en évidence le tempo musical de la pièce en deux actes. Symétries et rythmes ternaires, procédés d'accélération et de réduplication forment une orchestration mouvementée qui situe l'œuvre au niveau des meilleures partitions de la littérature universelle.

Il convient d'insister sur la beauté de plusieurs personnages. Ainsi Andromaque, modèle de la fidélité conjugale, dont la personnalité discrète et attachante, faite de nuances de générosité et de courage, appuie les pacifistes. Hélène, incarnation de la beauté, est difficile à cerner, toute en paradoxes apparents qui en font un personnage enrichi au regard du modèle antique. Hésitation et mystère, préciosité et humour, l'Hélène de Giraudoux est un portrait digne de figurer dans la galerie de l'éternel féminin. Demokos, (dêmos comme démagogie), est le dominant des intellectuels qui se reconnaissent à leurs discours «coassant», affublés de l'image dévalorisante de grenouilles. Belliciste fanatique et revanchard, il sue la haine. Ridiculisé par l'auteur, c'est le véritable vainqueur de la pièce.

Congratulations pour cette édition à la fois scolaire (fiches synthétiques) et fouillée (érudition, contextes), soigneusement présentée comme c'est l'usage des Petits Classiques Larousse. La subtilité de cette comédie dramatique requiert, selon moi, une telle approche pour l'appréhender pleinement. Si l'on excepte quelques bouderies, comme celle à l'encontre de sa subtilité excessive (Gide) ou de son pacifisme (Claudel), la pièce a été bien accueillie (y compris au Japon, en Israël et dans les pays de l'est) et continue à être jouée aujourd'hui sans avoir pris une ride.

Hélène de Troie - Gaston Bussière (1900)

[1] Les fouilles archéologiques de savants américains durant les années 1932-38 auraient mis en évidence le site de la guerre de Troie.

13 commentaires:

  1. Souvent lu cette pièce avec mes élèves, une réflexion très accessible et très efficace sur la guerre - Giraudoux connaissait bien la culture allemande et sentait ce qui allait arriver en Europe. Comme vous l'écrivez, les anachronismes rapprochent cette vieille histoire de notre époque.
    Grande impression de la pièce vue pour la première fois à Paris, quand j'étais en rhéto, avec Anny Duperey parfaite dans le rôle d'Hélène. Votre billet réveille plein de bons souvenirs, merci.

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    1. La lecture d'une œuvre théâtrale est toujours un peu fastidieuse, il y manque des voix bien sonores, des interprétations. Je vais aller fouiller la médiathèque et peut-être trouverai-je la représentation avec Annie Duperey ?

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  2. une pièce lue et même jouée dans mon adolescence et j'en garde un très bon souvenir
    j'étais tombée de haut quand j'avais su beaucoup plus tard que Giraudoux n'avait pas été un modèle de courage pendant la guerre, on voudrait que les auteurs que l'on a aimé soient des surhommes et hélas ...

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    1. Je savais qu'il avait été du côté des Dardanelles mais rien de sa pleutrerie.
      Notez que si personnellement j'étais dans sa position, je me sentirais mieux dans le rôle d'un auteur évoquant la fatalité et l'absurdité de la guerre, que dans celui d'un soldat intrépide sans peur et sans reproche... ;)

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  3. Souvenirs lointains du collège ou lycée...
    Exact, les petits classiques pour élèves sont à recommander aussi aux adultes. C'est mon édition de bartleby, par exemple.

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    1. Si vous voulez parler du Bartleby de Melville, je ne le vois pas (plus) dans les petits classiques Larousse ?
      De temps en temps, j'aime faire un peu de classe à domicile, comme un retour à des temps studieux... Mais que dis-je, je le suis encore...!?

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  4. J'ai beaucoup de mal avec la lecture de pièces de théâtre, d'ailleurs je n'en lis pas. J'ai le souvenir de l'avoir vue à la télévision, il y a bien longtemps.

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    1. Bonjour Aifelle, s'il s'était agi de simplement la lire, je n'aurais pas été plus partant que vous. Dans le cas de ces éditions «scolaires», il s'agit plutôt de comprendre, analyser le contexte et de là se questionner au départ d'une œuvre commentée.
      C'est ce qui m'a diverti, mais la lire, non, je préfère la voir et l'entendre jouée bien sûr.
      Bonne semaine.

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  5. Peu lu en effet, très très peu ... le collège et le lycée seraient-ils...traumatisants ?

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    1. On ne saurait pas lire tout. Moi ça va, Giraudoux ne m'a pas trop traumatisé.

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  6. Lu et relu il y a longtemps avec mes élèves. À chaque fois j'y découvrais une aspect différent...d'abord grâce aux éditions "scolaires" puis, chemin faisant, la tète fait le reste.
    J'aimerais beaucoup le voir sur scène...impossible ici, peut-être un DVD?

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    1. J'ai un souvenir scolaire de quelques unes de ces dramatiques théâtrales, mais du côté des bancs de classe...! Je n'avais ni étudié ni encore lu celle-ci.
      Oui, des DVD existent, je n'ai pas encore vu ce que proposait la médiathèque de Liège. Comme vous, j'aimerais voir la pièce. Je vous tiens au courant de ce que je trouve ici.

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