5 août 2015

De Luca malgré tout

Traduction de l'italien par Danièle Valin

Les auteurs sont deux habitués de Gallimard, quoi de plus normal de les y retrouver associés à l'occasion d'un hommage de Erri De Luca au photographe qu'est aussi François-Marie Banier, dont quelques photos (32 exactement) figurent dans le livre. Elles montrent des personnes «différentes» saisies en rue, clichés spontanés, non celles plus connues de personnalités publiques
Piéral (1994), I. Adjani (1991), D. Lynch (2001) © François- Marie Banier

Au sortir de lecture, j'étais ravi par le texte, une trentaine de pages dédiées à Banier et à la photographie en général. Au moment de rédiger ce billet, à la recherche de l'identité de Martin d'Orgeval, qui a édité (financé ?) le livre – dans la «Blanche» de Gallimard s'il vous plaît – l'affaire Bettencourt me saute à la figure. Puis je découvre le site de Banier, ses derniers travaux picturaux, ce n'est pas tout à fait ce que décrit De Luca... D'orgeval et Banier, amants condamnés lourdement, la grâce s'envole et la médiatisation de cette histoire que j'avais (délibérément) ignorée jusque-là, les publications judiciaires, etc.. achèvent mes illusions. 

Les mots de De Luca (une trentaine de pages) restent, même si on sent le travail de commande. Car c'est parfois décousu, il s'agit de paragraphes inspirés par la photographie – par celle de Banier aussi, bonne quand même – qui paraissent écrits par bribes, sans continuité. Mais ils brillent par moments de si beaux feux que je m'en serais voulu de ne pas en faire l'éloge. 

De façon inattendue, De Luca est inspiré par des références bibliques et par l'Hébreu pour décrire l'instantané (dé-clic, deux temps): "La photo me l'a appris : un mécanisme de la modernité m'a expliqué un détail de l'ancien hébreu, l'avènement de l'attà, maintenant". Ou encore: "Quel plaisir de ressentir la surprise d'une première fois. Le passé contient des primeurs. C'est une émotion recommandée dans le livre d'Isaïe : «Et il écoutera en arrière.» (42,43)"

Puis il recourt à un maître de la Renaissance, Velásquez, pour étendre son propos et définir la photographie par son contraire : "Le peintre, contrairement au photographe ne restreint pas le champ. [...]. Devant une toile de Vélásquez, le passant ne demande jamais ce qu'il pourrait y avoir en dehors du champ. Comme dans une bonne histoire, ce qui n'est pas écrit n'existe pas.
Les Ménines - Velasquez © Wikipédia

En fin connaisseur du job derrière l'objectif, l'écrivain appelle la métaphore du cheval et de la charrette : "Au bon moment, le photographe doit être la charrette, non pas le porteur, mais celui qui est porté. [...]. Il y a un moment où il n'y a pas de photo sans la capitulation du photographe." Conseil pour tous ceux qui s'y exercent : quand l'instant de grâce est là, l'œil le reconnaît et peut s'incliner. 

De Banier, il loue surtout les photos d'ouvriers, ce qui ne surprend pas de la part du poète altermondialiste. Avis discutable: il préfère Banier à Cartier-Bresson qui l'agace parce qu'il donne envie de voir ce qu'il y a hors champ. Il loue aussi ses portraits de femmes "...intouchables, pensives, ce sont des animaux sacrés. Banier est fils de femme comme Velasquez." Une longue digression, biblique encore, rappelle le rôle de Marie, "Miriám/Marie est à l'épicentre des secousses qui se propagent encore dans le monde.", "...la nativité est œuvre totale d'elle seule". L'auteur considère "...qu'il y a chez Banier une dette réglée avec sa mère".

Je ne sais si l'origine transalpine de la mère de François-Marie Banier justifie l'intérêt de l'écrivain pour le photographe, lequel, en dépit de ses multiples compétences artistiques, s'apparie périlleusement au nom de l'humaniste napolitain. Dans ce cas-ci, la sphère privée ne saurait être maintenue à l'écart de l'art. Je n'ai lu aucun livre signé Banier pour juger sa valeur littéraire; d'autres articles, orientés certes, m'inclinent peu à voir chez lui plus qu'un créateur mineur. 
Vladimir Horowitz (1982) © François-Marie Banier

Pour le reste, on sait ce que je pense de De Luca. Merci à lui pour ce bon moment de lecture. Un très bel extrait demain.

4 commentaires:

  1. Oh, les recherches mènent tantôt à de bonnes surprises, tantôt à des désillusions. J'attends donc votre extrait.

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    1. J'espère que vous l'apprécierez.
      Bon appétit, bon après-midi.

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  2. Evidemment, ici le nom de Banier n'évoque plus du tout le photographe, mais l'affaire judiciaire à rebondissements. De quoi brouiller les perceptions que l'on peut avoir de son travail. Avec Erri de Luca c'est une association surprenante.

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    1. J'avoue que cela a refroidi mon bon ressenti pour l'honorable éloge, quand même un peu surfait, de De Luca. J'ai suivi l'affaire Bettencourt de loin. Il y a comme un hiatus entre l'image qu'on a de l'écrivain italien et l'artiste de la jet set parisienne... Soit.
      Quand à Banier, je me méfie toujours un peu des créateurs qui ont trop de cordes à leur arc : écriture, photo, peinture,.... on ne saurait être "bon" en tout sinon à vouloir se remplir les poches...

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