28 avril 2017

Le dernier Viel


"... peut-être il a pensé que c’était une mauvaise blague. Peut-être il a pensé qu’il allait rejoindre un rocher ou un autre qui à marée basse se verrait affleurer. Même les sternes dans leurs rires avaient l’air de penser ça – elles, posées sur les arêtes coupantes des quelques roches lointaines qui déchiraient l’horizon, comme si elles trouvaient normal ce qui venait de se passer, je veux dire, ce type tombé dans l’eau froide et qui peinait à nager tout habillé, soufflait ce qu’il pouvait en répétant mon nom pour que je vienne l’aider, disant : Kermeur, merde, venez m’aider, Kermeur, qu’est-ce que vous foutez. "

L'instruction judiciaire met deux hommes face à face, le juge et Martial Kermeur qui raconte – c'est tout le livre, ce parler vrai – comment il en est arrivé à pousser Lazenec par-dessus le bord du Merry Fischer, au large de Brest. Ce type ordinaire tente d'expliquer comment il en est arrivé là, sans les ficelles d'un défenseur de métier, mais avec rancœur et ténacité. Un dire authentique, qui a son lyrisme et ses métaphores, afin d'exprimer le "ballottement déchirant des images à l'intérieur" qui le tourmentent au point que  "s’il n’y a pas un démon ou un dieu pour vous libérer, le supplice peut durer des années"
Au départ, un emploi perdu, une séparation d'avec France (tout un symbole ?), la garde du fils adolescent ténébreux et surtout Lazenec, investisseur immobilier aux projets miroitants.

Tanguy Viel n'a jamais une simple histoire à raconter, il y glisse le remuement des ténèbres humaines et ici, un grain d'iniquité sociale, une pointe de lutte des classes, et l'on s'indigne, prend fait et cause. Puis surtout la justice, par cette oreille silencieuse, présence souveraine et discrète, regard inquisiteur et désemparé  "Qu'est-ce qui vous a pris Kermeur ?" –, ce juge à l'écoute vers lequel, au final, vont toutes les interrogations.

À David Carzon sur Libération, affirmant qu'il n'a jamais lu de polar : "Dans chaque livre, je travaille avec des scènes presque matricielles qui m’habitent depuis que je suis gosse. Je ne programme rien". L'écrivain explique encore l'absence de méthode pour écrire un roman : "Je me laisse habiter par des mondes, et entre chaque roman, cela prend du temps avant que ces mondes me repeuplent, s’agrègent et cristallisent quelque chose." 
L'univers du cinéma transpire des romans très visuels de Viel: "«J’ai le sentiment qu’une scène est aboutie quand elle est absolument visuelle". 

Article 353 du code pénal, son récit le plus réaliste, confirme l'aisance de Tanguy Viel à varier les genres au fil de sept romans probants aux éditions de Minuit. 

Enfin, curieux et spoileurs, ne cherchez pas la teneur de l'article 353, l'auteur vous l'offre au moment souhaitable et vous aurez tout loisir de le méditer.

Éditions de Minuit, 170 pages (en version papier). 
Lu en version numérique (epub).


Absent quelques jours, à l'écart d'internet, 
je vous laisse en compagnie de quelques pages marquées, 
lectures en cours ou passées, déjà chroniquées ou pas. 
À bientôt.

14 commentaires:

  1. Aaaaah ! J'ai rencontré l'auteur en lecture (et il avait lu des extraits de cet opus, alors qu'il n'était pas encore sorti), pour attendre j'ai donc lu Paris Brest (à cause du fils Kermeur), et hier enfin le roman était libre à la bibli!
    Je ne lis donc pas trop votre avis (positif, je le sais tout de même) avant de m'y plonger.

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    1. Je crois que vous ne devriez pas être déçue. Tanguy Viel est un merveilleux inventeur.

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  2. je ne vais pas faire semblant ce serait peu honnête je ne le lirai pas mais par contre j'emporte avec moi votre photo car là j'irai bien volontiers

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    1. Aller dans la photo, c'est un peu aller dans le roman... :-)
      Souvent, pour illustrer les articles, je pars de photos publiques et leur donne une touche personnelle, une atmosphère, avec les outils de retouche.

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  3. la photo est sublime je ne suis qu'à moitié tentée par ce livre malgré les éloges, pour être honnête je dois dire aussi que je suis un peu au delà de mes possibilités de lectures , j'aime flâner dans mes livres donc le temps me manque.

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    1. Si vous aimez flâner en lecture, je suis comme vous. La notion de pile à lire ne m'est qu'un souvenir, tant je la trouvais contraignante. Celle que je maintiens me sert juste de rappel très informel.
      Lire ne me semble pas un sport, ni une chasse avec l'accumulation de trophées.
      Bonne après-midi Luocine.

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  4. Bonjour Christw, je n'ai pas encore réussi à me le procurer en bibliothèque mais j'y arriverai. J'ai vraiment envie de le lire d'autant plus avec les extraits que tu donnes. Bonne après-midi.

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    1. Cf le message contact que j'ai envoyé sur "Le blog de Dasola".
      Bonne après-midi.

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  5. Je n'ai pas encore lu cet auteur, le thème de son dernier roman me tente beaucoup. Je pense le trouver en bibliothèque (reste le temps ...)

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    1. Le temps n'est pas un trop gros problème, je crois, avec ce genre de livre prenant qui se lit en un ou deux jours maximum.

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  6. Je l'ai lu avec un certin plaisir mais pas au point de partager les critiques dithyrambiques lues dans la presse...

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    1. J'avoue que les articles qui encensent T Viel me font plutôt plaisir :-)

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  7. Encore un auteur que je dois découvrir. J'en ai acheté un mais pas encore lu.

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