20 septembre 2017

Culture belge

Les Impressions nouvelles, 171 pages

Carrousels, flonflons, brocantes et parcours d'artistes ne sont pas les seuls atouts des fêtes de quartier, comme en témoigne celle de Cointe (juin), sur les hauteurs de la cité ardente, dont les organisateurs ont eu l'idée de convier Jean-Marie Klinkenberg à un entretien convivial dans la crypte de l'église (dénommée à tort «basilique»). Le sémiologue proposait quelques ouvrages à dédicacer (aux couleurs du drapeau et au pinceau, s'il vous plaît) parmi les plus connus du grand public, telles les mythologies belges et liégeoises ou encore un précis d'histoire sociale de la littérature belge (Espace Nord), en collaboration avec Benoît Denis

"Petites mythologies belges" est un recueil plein d'esprit que le lecteur belge (francophone) lit avec délectation et amusement, car il s'y retrouve sous une série de traits propres finement rendus par le pétillant professeur. Applaudir Eddy (Merckx), ovationner le roi, monter à Paris, être "nafteur" (navetteur), être petit (belge) (petites mythologies, elles aussi), une brique dans le ventre, Anderlecht et Standart, ... : ajoutez-y les armes du sémiologue toujours à l'affût pour interroger et décrypter l'usage d'innocents termes du vocabulaire, ajoutez-y quelques belles pages sur le consensus, spécialité de la Belgique communautaire, qui voisine forcément avec la façon de "dire les choses comme (elles) ne sont (pas)", ajoutez-y une ironie complice et vous tenez un ouvrage fringant de réflexions pénétrantes, une étude d'où la badinerie n'est pas exclue, qui atteste d'une culture belge distincte des cultures néerlandaise et française.

Source : débats La Libre

Il est évident, le titre l'atteste, que cet ouvrage pointe les "Mythologies" de Roland Barthes (1957). [Il attend depuis quelques années dans ma bibliothèque que je m'y éveille, grâce à ma rencontre avec le travail de Klinkenberg.] 

La finalité du travail ne réside pas dans l'accumulation de traits culturels, mais plutôt – comme l'explique Klinkenberg lui-même avec le dernier chapitre "Pourquoi ce livre" – dans l'observation du mécanisme qui a permis à ces éléments d’acquérir une valeur d’emblèmes nationaux. L'approche de l'auteur renonce donc à une compilation de traits qui définirait une essence de l'identité belge mais, et c'est l'originalité de l'étude, s'attache plutôt à la manœuvre, c'est-à-dire les processus de formulation et de sélection nécessaires à la définition des identités, qui a donné sens à ces traits. (cf communication de K. Rondou).

Pour expliquer ceci par un exemple, prenons  la bande de sable de soixante kilomètres au nord du pays : il s'y concentre des expériences variées comme la pratique du cuistax, le goût des moules-frites ou des tomates crevettes, et cela devient une des représentations par lesquelles les gens éprouvent collectivement l'identité belge. 


Trois fils conducteurs principaux – la langue, le grand voisin (France), le territoire – sont les clés de lecture d'une sémiotique de la culture appliquée dans le cas de la Belgique par Jean-Marie Klinkenberg. 
Ainsi, François Provenzano (Actes sémiotiques) écrit à propos de l'étude : "Le Belge entretient vis-à-vis de sa langue une relation d’insécurité, qui le porte à privilégier des stratégies d’hypercorrectisme ou d’aventurisme; par ailleurs, le langage ambigu du compromis raisonnable et de la modestie assumée est une des caractéristiques pointées par le sémioticien dans son repérage des constantes rhétoriques du discours social en Belgique. La France apparaît quant à elle comme le grand voisin intimidant, dont le discours de grandeur permet au Belge de construire son altérité (linguistique, mais aussi éthique, esthétique, historique, sociologique, politique, etc.). Enfin, le rapport au territoire structure puissamment les représentations analysées par Klinkenberg : par sa manière de domestiquer le paysage qui l’entoure (la Côte, les côtes, la distance entre la ville et la banlieue, la frontière entre le « chez soi » et l’en-dehors), le Belge dit quelque chose des valeurs qu’il pose comme essentielles dans son univers de référence."

Le rapport à la langue est approfondi dans le chapitre "Pincer son français" : sentiment d'insécurité du Belge car "d'un côté il a une image très nette de ce que peut être le «bien-parler» et de l'autre il sait que ses productions effectives ne sont pas conformes à cette norme" écrit Klinkenberg. En conséquence, les réactions peuvent être le mutisme ("... la langue ayant cessé d'être un outil pour n'être plus qu'un monument, il n'y a plus que le silence"), le purisme ("... je prendrai scrupuleusement les pilules du docteur Grevisse") ou la compensation qui mène à jouer librement avec la langue ("... comme on dit d'un acteur qu'il surjoue"). 


La conclusion de Jean-Marie Klinkenberg met l'accent sur le caractère mystificateur des identités collectives : "[...] construites sur le dogme de l'unanimité, elles camouflent les différences et les clivages existant à l'intérieur de la communauté, mais se servent en même temps de ces divergences pour stratifier le corps social."  

Poussant parfois l'humour et l'ironie jusqu'à la causticité et la polémique, l'auteur liégeois est un homme épris de son pays, un sémioticien pour qui le mot friterie n'a pas les saveurs de la «friture» (on salive au mot), comme celle qu'il a choisie pour illustrer la couverture de ses mythologies belges, une magnifique photo personnelle un peu surréaliste. 

À lire : Les Petites mythologies liégeoises (avec Laurent Demoulin -Tétras Lyre).

8 commentaires:

  1. un livre qui doit être passionnant, je souris en voyant apparaitre le nom d'Eddy Merckx aujourd'hui on pourrait y ajouter Stromae
    J'aime votre photo pour moi elle illustre se qui me vient quand je pense Belgique, tout de suite après arrive Bruges et son Béguinage et loin derrière....le reste

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    1. J'aime beaucoup Bruges et son Béguinage mais il y a beaucoup de coins et d'habitudes locales à découvrir ici qui ne sont ni la Côte ni ni les villes du plat pays : comme le montre le livre, une vraie culture belge existe, particulière et savoureuse. L'étude réussit à définir ce qui la fait, en dehors de celles propres à la Wallonie et à la Flandre.

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  2. Je dois reconnaître, que je ne connais pas la Belgique : deux jours à Bruxelles, me semblent pour le moins insuffisants. Par contre j'ai deux amies d'origine belge, chez qui je reconnais de belles qualités, -simplicité, gaieté, droiture - Une autre façon d'aimer déjà votre pays.

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    1. La culture belge est compliquée à cerner car il existe dans ce pays les cultures wallonne et flamande. Chaque région a sa langue (tout le monde n'est pas bilingue, loin de là), sa presse, ses chaînes de télévision, les livres édités ici ne le sont pas nécessairement là-bas. Et il y a aussi la petite communauté germanophone dans l'est du pays.
      Mais la nation demeure.

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  3. Un livre que je lirais avec bonheur! Très attachée aux mots, à leur saveur, à ces mélanges linguistiques, de vocabulaire, ces inventions propres à la Belgique, même après 40 ans vécus en Espagne, je les retrouve avec un plaisir indicible avec ma famille, mes amis.
    Francophone de Flandres, les mots créés de toute pièce entre le français et le néerlandais sont uniques.
    Un tout grand merci et vive le cuistax!!

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    1. C'est tout cela en effet, et ce qui ne gâte rien, il s'agit du travail d'un érudit plein d'humour et d'auto-dérision.

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  4. Ces "Petites mythologies" m'intéressent, grâce à votre billet, c'est noté.

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    1. Un livre qui peut se lire en butinant. Un index de mots (bonbon, biscuit, friterie, Laurent (prince), ...) pointe vers les chapitres.

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