2 septembre 2017

Robes fougères

Les genêts ployaient sous mon poids, des feuilles fraîches se trouvaient arrachées, je lâchais la chevelure des longues herbes déjà blondes, je filais entre les cuisses luisantes des châtaigniers : enlacement à la forêt qui était le fait de jambes alors vigoureuses et d'un souple zigzag entre les perches. Trop tard. Même courant je ne la rattrapais pas, et pourtant j'essayais par vitesse et surprises d'une trajectoire qui évitait les arbres de capturer son image avant que des flaques, des écorces, des miroirs en plumes, elle s'effaçât définitivement. Elle aimait la forêt, au contraire de sa mère, et cela son père l'avait toujours su, même s'il refusait qu'elle s'abîmât les doigts, ou la robe, dans la terre noire. Dès que se trouvait autour d'une eau de pluie un peu de vase, j'y cherchais les empreintes, griffes du renard, sabots étroits des chevreuils, et jamais je ne trouvais parmi eux comme je l'aurais aimé son petit talon ferme. Je me précipitais vers ce qui semblait être la forêt ancienne, plus humide et à cause de cela moins furetée. Arbres tombés, lianes et arbustes serrés ralentissaient ma course, mais derrière les rideaux de lierre ou clématite ou chèvrefeuille ce pouvait toujours être elle la couleur claire, le bord de sa robe au moment où elle se cachait, et non les ailes de ramiers en couple qui, dur claquement, remontaient les rayons obliques du soleil, fuyaient vers les trouées dans feuillage. Essoufflé je posais les lèvres sur l'écorce des gaules balancées tout en haut, j'en sentais la vibration. J'écartais des robes fougères vertes pour, un instant, voir briller du ruisseau le regard. Agenouillé entre les jeunes jambes de la forêt – elle ne cesse de s'élancer neuve – je remontais aux fourches toucher la mousse obscure, humer son odeur de terre, de sève, de naissance, quand les doigts s'accrochent et les bouches, que le souffle est celui des bêtes et des plantes, que les orteils griffent la boue... J'étais seul. La mort l'avait, frêle gibier à robe blanche, chassée jusqu'à la fièvre, au halètement, au délire, et rapidement l'avait tuée.

Jean-Loup Trassard - Lunes grises ("Nous sommes le sang de cette génisse")



Dans "Lunes grises", le narrateur évoque avec une admirable inspiration, le souvenir de la fille d'un charbonnier des forêts, morte jeune de maladie.

6 commentaires:

  1. Tous les sens sont convoqués pour cette superbe évocation. Végétaux et lumière, belle photo aussi.

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  2. Follement sensuel et poétique votre extrait, j'aime beaucoup, merci-

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  3. Quelle talent pour décrire un lieu et des sensations. Belle photo pour illustrer cet extrait, elle est de vous ?

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  4. @Tania, @Colo, @Aifelle : retours de lectrices clairvoyantes ! Merci.

    La photo n'est pas de moi, trouvée sur Google images sans auteur. J'en ai modifié la saturation des couleurs, les trouvant trop criardes.

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  5. Trassard est dans ma 'liste à lire'. J'en ai lu un, magnifique, mais gardé pour moi, pas pour le blog!^_^

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