Traduction de l'anglais par Henri Robillot
Après le très prometteur "Petit déjeuner chez Tiffany" (1958) et le captivant "De sang-froid" (1965) qui lui valut renommée et argent, la carrière littéraire de Truman Capote peut sembler s'éteindre dans l'alcool et la dépression. Ce serait faire peu de cas des résolutions que l'auteur manifeste dans sa préface de "Musique pour caméléons" (1979) et des qualités de ce recueil.
Après le très prometteur "Petit déjeuner chez Tiffany" (1958) et le captivant "De sang-froid" (1965) qui lui valut renommée et argent, la carrière littéraire de Truman Capote peut sembler s'éteindre dans l'alcool et la dépression. Ce serait faire peu de cas des résolutions que l'auteur manifeste dans sa préface de "Musique pour caméléons" (1979) et des qualités de ce recueil.
Dans les quelques pages de ce préambule nombriliste, quelquefois amer et revanchard, où il livre d'intéressantes réflexions sur ses techniques d'écrivain ["Ainsi que certains jeunes étudient le piano ou le violon quatre à cinq heures par jour, je jouais de même avec mes papiers et mes stylos"], Capote reconnaît que "De sang-froid" était d'une écriture trop dense: trois pages pour des effets qui tiendraient en un paragraphe. Il considère que trop d'écrivains, même les meilleurs, «sur-écrivent», et juge ne pas avoir donné le meilleur de lui-même: "... je laissais de côté tout ce que je savais de l'écriture, tout ce que m'avaient appris scénarios, pièces, reportages, poésie, nouvelles, contes, romans. Un écrivain devait disposer de toutes ses couleurs, toutes ses aptitudes réunies dans la même palette pour pouvoir les doser (et dans certains cas opportuns, les appliquer simultanément)...".
Il considère que le développement pratique de ces réflexions, ce qu'il appelle un "retour au jardin d'enfants", lui ont permis d'élaborer un style plus accompli où il se tient moins en retrait du récit et il a remanié ce qui devait être l'œuvre de sa vie, "Prières exaucées" [tiré d'une citation de sainte Thérèse d'Avila: «il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas»], dont deux brillants chapitres nous sont parvenus, "La côte basque" et "Des monstres à l'état pur".
Puis Capote entreprend "Cercueils sur mesure", court reportage romancé sur un crime américain et compose/reprend une série de nouvelles et textes, avec une technique longuement mûrie. L'aboutissement de tout cela est le recueil "Musique pour caméléons" (1980 pour la version française), dernière publication de son vivant.
En fin de préface, cinq ans avant de s'éteindre, il s'interroge encore sur "Prières exaucées" et se considère "isolé dans sa folie obscure" qu'est la création littéraire, avec "le fouet dont l'a gratifié Dieu" que sont la volonté et le devoir d'écrire.
En fin de préface, cinq ans avant de s'éteindre, il s'interroge encore sur "Prières exaucées" et se considère "isolé dans sa folie obscure" qu'est la création littéraire, avec "le fouet dont l'a gratifié Dieu" que sont la volonté et le devoir d'écrire.
"Life is a moderately good play with a badly written third act" Truman Capote [*] |
J'ai terminé la lecture des six premières nouvelles du livre: je les trouve somptueuses. Pas un mot à changer au récit éponyme, une atmosphère de Martinique en couleurs à profusion, un rien de préciosité; le portrait d'une veille et distinguée aristocrate qui charme les caméléons au piano est la fois admiratif et critique.
Mentionnons "Éblouissement" qui traduit l'intense souffrance destructrice des enfants de sexe ambigu, immanquablement une confession pathétique de l'auteur. On y trouve un autre portrait saisissant, cette madame Ferguson, un peu voyante et sorcière, "qui roulait de côté des yeux de pleine lune".
Enfin "Mojave" est un chef-d'œuvre : une dernière scène montre le couple aisé en tête à tête, une vodka rouge poivrée, il neige dehors, des souvenirs dans le torride désert californien puis, troublée, langueur feinte, Sarah tire les tentures : "Fermées, les lourdes tentures de soie masquèrent le fleuve nocturne et les bateaux illuminés si ouatés de neige qu'ils avaient les contours émoussés du dessin d'une estampe japonaise représentant une nuit d'hiver". Tombent ces derniers mots glaçants "... nous trouverons bien quelqu'un" dont vous ne percevrez le poids qu'en lisant cette perle.
moi qui n'aime pas les nouvelles je sens pourtant à vous lire que là on a à faire à du très haut niveau, je vais les retenir car depuis peu je me suis laissée convertir et je ne le regrette pas
RépondreSupprimerC'est bien que nous puisions échanger sur les nouvelles, une genre qui vient bien à point pour moi en ce moment.
SupprimerJe retiens ce titre de recueil, votre billet est si persuasif ! Merci pour ces passages sur le style et la palette de l'écrivain.
RépondreSupprimerIl est toujours dangereux de se montrer persuasif à propos de livres, l'avis sur un texte dépend de tant de critères subjectifs. J'ai vraiment apprécié la première partie de ce recueil. La seconde est le roman reportage (style épuré) d'une affaire criminelle mentionnée dans le billet et la troisième, des portraits et dialogues, nous verrons.
SupprimerJ'ai lu "De sang froid" l'an dernier, dont je garde un souvenir glaçant, d'autant plus peut-être que je venais de voir un reportage sur le contexte de la rédaction de ce texte.
RépondreSupprimerMalgré mon, jusqu'à présent, peu de goût pour les nouvelles, ce titre me tente bien, grâce à vous. Je vous en remercie.
"De sang-froid" reste pour moi un des meilleurs «romans policiers» (si l'on peut dire puisque les faits sont réels) jamais lus. Dans "Musique pour caméléons", l'affaire criminelle qu'il relate, où Capote s'implique avec l'enquêteur, a des accents plus allégoriques mais ça reste vraiment très bon.
SupprimerComme vous, j'avais été très impressionné par "De sang-froid", au plan humain surtout, avec le lien affectif qui s'établit entre un assassin (présumé?) et Capote.
J'aime beaucoup l'expression "fouet dont l'a gratifié dieu"... à la fois amusant et glaçant...
RépondreSupprimerCapote (oscillant entre l'homme aux plaisirs mondains alcoolisés et l'écrivain talentueux) cite une citation de H James dans la préface : "Nous vivons dans l'obscurité, nous faisons ce que nous pouvons, le reste est la folie de l'art". Le choix de l'écriture, "cette folie", nécessite une dose de courage, d'où cette expression que vous pointez.
SupprimerCes réflexions sur l'écriture sont intéressantes et courageuses aussi.
RépondreSupprimerLe genre "nouvelles" me plaît beaucoup, je note et vous remercie!
Vous faites bien de souligner que c'est courageux de la part de l'auteur.
SupprimerJe n'ai jamais lu Truman Capote mais je n'ai aucun problème avec les nouvelles ; je pourrais donc tenter plus facilement qu'avec ses autres textes d'ailleurs.
RépondreSupprimerLes six premières nouvelles sont excellentes, très américaines, on y sent une culture du genre, très différent de ce que propose Châteaureynaud, par exemple, pour citer un français.
SupprimerJe commencerai par "de sang froid" car j'ai très envie de découvrir cet auteur même si son univers me glace par avance.
RépondreSupprimerC'est un gros livre : 512 pages. Bonne lecture !
SupprimerA part cercueil sur mesure ( j'adore son style conversation et la non-fiction), je n'ai pas été marquée par ces nouvelles. En revanche, j'ai hâte de lire de sang-froid.
RépondreSupprimer"Cercueils sur mesure", forme nerveuse, directe, m'a touché gràce à l'épilogue allégorique, la note bien de Capote.
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