4 mars 2018

Arcadie

La lettre de donna Giulia présente à cet endroit une étrange irrégularité: un simple alinéa ne suffit pas, il faut, dirait-on, une page blanche à la vieille dame pour reprendre son récit. Peut-être intimidée elle-même par son émotion, a-t-elle eu besoin d'une pause et, cessant d'écrire, s'est-elle approchée de la fenêtre. Elle a longuement regardé l'évasement du jardin et la perspective lointaine du parc qui le délimite. En apparence, c'est une Arcadie : un de ces lieux qui semblent incapables de retenir les souvenirs, tant ils s'en remettent au cours égal des saisons, à la stricte répétition des rituels de la nature qui semble impliquer une durée sans mort. Aujourd'hui, de fins nuages se répandent de très haut comme autant de largesses du ciel, et toute chose en reçoit l'éclat d'une lumière d'aurore. Mais ce qui la fait d'autant plus tressaillir, c'est la pensée que sa petite-fille ait pu respirer justement ici, dans toute cette paix, cette verdure qui à présent – nous sommes en avril – se développe, jeune et fraîche, comme fripée encore par le gel, alors qu'à l'époque – c'était un 20 septembre – elle s'abandonnait immobile à la lumière lente et délicieuse des couchants de l'été finissant.

Mario Pomilio - Noël 1833



6 commentaires:

  1. J'ai lu votre précédent billet et c'est très bien écrit en effet. Je n'ai rien lu des deux auteurs évoqués, c'est tentant.

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    1. Ne vous sentez pas tenue d'aller vers les livres que je chronique, mais si la belle écriture vous accroche, vous ne serez pas déçue. Le thème est un peu particulier. Un billet est aussi l'occasion de considérer ses propres opinions. À bientôt Aifelle.

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  2. Oh, je ne m'attendais pas à une si belle écriture, merci.
    Et super bravo pour la photo, magnifique!

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    1. Heureux que vous aimiez les deux.
      Bonne semaine !

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  3. J'aime cette évocation très visuelle alliée au courant intérieur du souvenir. La photo l'illustre à merveille.

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    1. Un des rares passages où le texte s'éloigne de la personnalité de l'écrivain Manzoni. Heureux de vous voir apprécier les mots et l'image.

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