13 mars 2018

Du bord de la vie

Peut-être, dis-je. Peut-être que tu vas trop vite. Je ne te connaissais pas, Jeanne. Je ne peux pas aller si vite. Dans l'idéal, ce que j'aimerais, c'est que tout s'arrête, mais je ne peux pas m'arrêter avec toi. Moi, si jamais je dois revivre un jour, j'aimerais que ce soit sur le bord de quelque chose, qu'il y ait quelque chose à voir du bord où je vivrais, et que je prenne le temps de le voir en me disant que c'est ça, peut-être, vivre, regarder quelque chose qui n'est pas à proprement parler la vie mais qui la rappelle, un reflet, une photo, pendant que là où l'on est la vraie vie, celle qui s'échappe, la vraie vie coule, elle, mais toi, je veux dire moi, tu regardes ailleurs. Et même quand ton regard tombe sur toi tu t'arrêtes, tu fais un pas de côté en prenant garde de tomber toi-même dans ce vide au bord de quoi tu vis, et tu regardes, et tu dis j'existe, mais toi, Jeanne, non, tu ne veux pas attendre, tu ne veux pas regarder, je ne sais pas ce que tu veux, dis-je. Mais je sais ce que je ne veux pas.
Tu es complètement fou, dit-elle avec simplicité.

Christian Oster - Loin d'Odile (2001)

Sabrina Garrasi 

Pour moi, christian Oster c'était l'enthousiasmant "Dans le train", récit merveilleusement cocasse de la rencontre improbable avec une jeune femme sur un quai de gare, confirmé par le film de Claude Berri tiré de "Une femme de ménage" (avec le parfait tandem Bacri-Dequenne). 
Ici, outre ce bel extrait, il s'agit d'un récit chaotique où la patte Oster se maintient bien, mais n'y cherchez pas un récit rond et fermé, c'est libre comme l'air, de la cohabitation avec une mouche (Odile) jusqu'aux pistes enneigées où des pirouettes burlesques n'épatent pas Meije, qui, par ailleurs, est accompagnée d'un épatant skieur ensoleillé. Le critique Jean-Claude Lebrun aura beau, en postface (1996), s'attarder sur le talent de Christian Oster, rappeler son appartenance éphémère aux «impassibles» (minimalistes à Minuit), confirmer qu'Oster lui-même "s'avoue volontiers, dans son travail de romancier, plus sensible aux tournures de phrases qu'à des univers"  – c'est parfois mon cas, sans être romancier –  je regrette que ce roman manque d'unité, sinon celle de l'écriture. S'il poursuit son propos "jusqu'à trouver l'expression juste de l'idée, dans la sobriété, comme mû par le souci de ne pas laisser la langue s'emporter", je cite toujours Lebrun, le fond sérieux n'empêcherait pas les frivolités de surface, et inversement, comme l'attestent les romans cités plus haut.

4 commentaires:

  1. J'ai l'impression de connaître cet auteur mais j en'arrive pas à me souvenir à propos de quel roman . Je vais chercher à me rafraîchir les souvenirs et pourquoi pas en lisant "dans le train" plus que ce dernier roman où je ne sens pas l'enthousiasme nécessaire au déclenchement de l'envie de lecture

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    1. Avec "Dans le train", je me suis bien amusé. Le style est assez particulier, beaucoup de discours indirects si je me souviens bien, c'est bien fait.

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  2. Cela fait un moment que je ne suis pas passée par ici, hélas. Je n'ai rien lu de cet auteur dont vous parlez. Mais j'aime bien comme vous parlez des auteurs et de leurs livres.
    Bon dimanche.

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    1. Les auteurs de chez Minuit ont une manière bien personnelle de raconter qui tantôt m'accroche, tantôt m'agace. Christian Oster fait partie des premiers.
      J'espère que vous allez bien ? Je visite peu les blogs amis ces jours-ci, pris par des préoccupations extérieures.
      Bon dimanche.

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