16 novembre 2018

Intégration

La taule me cernait encore : je la retrouvais dans des réflexes, des tressaillements, des sournoiseries et des soumissions dans les gestes. On ne se lave pas du jour au lendemain de plusieurs années de routine chronométrée et de dissimulation constante de soi. [...].
Je gardais l'air ahuri et, voulant m'appliquer, je gaffais, j'étais trahie par d'anciennes peurs, en même temps que par un exubérant sans-gêne naturel... De plus, je ne connais pas grand-chose du milieu où Julien m'a introduite : en Centrale, j'ai côtoyé plus de criminelles que d'authentiques truandes. Voulant plaire à Julien et lui faire honneur en plaisant à ses amis, je dissimulais mes ignorances sous un mutisme intelligent; ou, m'efforçant de paraître affranchie et cultivée, je m'exprimais comme les héroïnes de la Série Noire ou comme une Précieuse. Mais, invariablement, j'étais ridicule.

Albertine Sarrazin - L'astragale


2 commentaires:

  1. Elle avait une belle plume, Albertine Sarrazin.
    Je lis cet extrait et un souvenir enfoui me revient tout à coup: une rencontre entre jeunes étudiantes de la JEC, dont j'étais, et de jeunes délinquantes. On joue au téléphone sans fil pour se mettre à l'aise. Une phrase retenue: "Paris, Londres, Amsterdam, c'est mon rêve." Du pouvoir de la littérature !

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    1. C'est assez exceptionnel chez des personnes en prison d'en découvrir une qui peut s'afficher "de lettres". Pourquoi la délinquance exclurait-elle la littérature? (Et inversement). Merci pour ce souvenir probant.

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