6 septembre 2019

La catastrophe se vend


L'effondrement de notre civilisation industrielle est-elle proche ? La collapsologie (du collapsus latin) est l'étude de cette catastrophe et de ce qui lui succédera. Pablo Servigne et Raphaël Stevens en ont fait un best-seller en 2015 : "Comment tout peut s'effondrer - Manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes".

C'est dans la revue nature "Natagora" (sept-oct 2019, rubrique "Idées"), que je trouve le sujet titré avec esprit "La fin du monde se porte bien" (Benoît Vignet), synthèse fluide comme d'habitude dans ces pages. 

L'article rappelle d'abord que les spécialistes considèrent que tout cela relève davantage "du prophétisme que de la science" (Jacques Bouveresse). "Il faut réancrer systématiquement ce concept dans la méthodologie scientifique", insiste Vincent Mignerot

À l'opposé extrême des Servigne et Stevens, l'organisation "Deep Green Resistancevoit l'effondrement comme une solution plutôt qu'un problème : "Beaucoup de leurs questions tournent autour d'un "nous" [...] qui désignent quelques habitants des pays riches qui redoutent la fin de leur mode de vie destructeur basé sur l'exploitation systématique de toute une myriade d'autres [...]". D'autres pensent que l'on dépolitise la question, le capitalisme serait la première cause du mal.

On a aussi l'idée de coller là-dessus du développement personnel – ça se vend bien – approche qui s'éloigne un peu plus de la science, avec "Une autre fin du monde est possible" (2018, encore Servigne-Stevens+Gauthier) : apprendre à vivre avec les mauvaises nouvelles, se transformer de l'intérieur, force et courage, etc. Rengaine.

C'est donc mode. La revue "We Demain" (juin) titre "l'effondrement, tendance de l'été ?". Dans "Siné Mensuel", Laure Noualhat écrit : "C'est tellement hype que ça devient limite cool d'être «effondriste»". La création du salon du survivalisme à Paris relaie le concept auprès du grand public.

Conclusion sage de "Natagora" : "Il reste que, malgré des développements plus ou moins fantaisistes, la collapsologie a le mérite de mettre en lumière le concept (solide) d'effondrement et d'initier une réflexion transdisciplinaire nécessaire sur l'avenir de la civilisation industrielle. Mais par son aspect de bric-à-brac intellectuel et social, elle présente aussi un danger : celui d'atténuer la portée du message sur l'urgence de la situation  (et notamment environnementale), voire de le décrédibiliser". 

Je me demande si "collapsologie" sera le mot de l'année.

10 commentaires:

  1. Cher Chris, la porte du message étant atténuée, cela permet à certains opportunistes de l'enfoncer sans trop de dégâts...

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    1. C'est exactement cela, les opportunistes font de l'air du temps des livres et des salons...
      Et merci :)

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  2. Sur le sujet, dans son article (« La fin du monde n’aura pas lieu » dans le Diplo du mois d’août), le journaliste Jean-Baptiste Malet pose la question: « Catastrophisme éclairé ou grande peur obscurantiste. »
    L’article se termine sur les propos d’un chercheur écologiste américain, le professeur Jason W Moore:
    » Je suis très inquiet de la capacité qu’à ce concept d’anthropocène de renforcer cette vieille farce bourgeoise selon laquelle la responsabilité des problèmes émanant du capitalisme reviendrait à l’humanité tout entière. »….. »Nous sommes en train de vivre l’effondrement du capitalisme. C’est la position la plus optimiste que l’on puisse embrasser. Il ne faut pas craindre l’effondrement. Il faut l’accepter. Ce n’est pas l’effondrement des gens et des bâtiments, mais des relations de pouvoir qui ont transformé les humains et le reste de la nature en objets mis au travail gratuitement pour le capitalisme. »
    Vision moins angoissante??

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    1. Voilà un MD que je n'ai pas lu. Merci, cher Robert Spire, de partager ces mots et cette position parmi les plus optimistes.

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  3. Bien que je ne sois pas le premier à le dire, la collapsologie présente une nette parenté avec la science-fiction. On raconte une histoire. Et cette histoire va peut-être se révéler peu éloignée de la réalité dans un futur plus ou moins proche. Peut-être...

    Les auteurs de science-fiction ne prétendaient pas être des prophètes. On reproche pourtant à John Brunner de ne pas avoir prévu la micro-informatique, seule "lacune" d'importance, dans son apocalypse intitulée "Tous à Zanzibar" qui fait pourtant la part belle à une informatique toute puissante.

    On lui reprochait beaucoup la violence dans "Le troupeau aveugle", une autre apocalypse écologique sidérante. Mais ce reproche semble ne plus avoir cours depuis une bonne décennie : la réalité a largement dépassé sa fiction.

    On lui reprochait aussi l'impasse totale dans laquelle se trouvait son monde imaginaire. "Le troupeau aveugle" se termine par un incendie gigantesque qui raye de la carte le continent nord-américain : les grands vents renvoient la fumée jusqu'en Europe. Est-on si éloigné des incendies qui ravagent Amazonie, Sibérie et Afrique ?

    John Brunner a aussi écrit des fictions optimistes (Polymath, Virus) où l'intelligence et le hasard mettent fin à des situations potentiellement catastrophiques. Mais on se souvient bien mieux de ses apocalypses...

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    1. Je l'ai été dans ma jeunesse mais ne suis plus guère lecteur de SF. Je crois bien avoir lu Brunner aussi. Pourquoi n'y trouverait-on pas des idées intéressantes ?

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    2. L'intérêt du "succès" actuel de la collapsologie, c'est le même que le relatif succès de la science-fiction voici quelques décennies. C'est de nous inciter à nous bouger sérieusement le cul pour éviter le désastre. Mais on peut être raisonnablement très très pessimiste.

      Le chaos bien réel qui règne au Mali, en Libye, en Somalie ou en Afghanistan ne semble pas nous faire bouger beaucoup plus que fictions ou prospectives au doigt mouillé. Le sous continent indien et le sud-est asiatique qui souffrent monstrueusement dès aujourd'hui du changement climatique ne nous émeuvent pas plus...

      Et en France on voit partout la mort d'arbres épuisés par des années de sécheresse répétée. Mais on préfère relativiser ou disserter à n'en plus finir sur le sexe des anges. Refendre les poils coupés en quatre depuis belle lune : voilà toute l'activité de nombre de nos penseurs...

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    3. La conclusion de l'article que je propose va en ce sens, avec la nuance qu'apporte la dernière phrase : risques de décrédibilisation à cause de développements fantaisistes propres à bien des publications revendiquant le vocable "collapsologie".

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  4. J'avais lu il y a déjà plusieurs années un livre très intéressant sur ce thème (comment certains mondes ont totalement disparu) d'un auteur dont le nom m'échappe totalement aujourd'hui.
    L' avantage à cette tendance est de "faire peur" et peut-être d'accélérer un peu certains processus. Mais il me semblerait encore plus important de réfléchir aux moyens de modifier nos modes de vie, sans angélisme. Bon week-end, Christian !

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    1. Merci d'avoir partagé votre avis Annie, bonne fin de semaine !

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