11 mai 2020

Fascination du manuscrit


Et je suis convaincu qu'il est très difficile de résister à la possession des originaux de textes bouleversants. Le papier avec l'écriture, le tracé, le geste et l'encre, qui est l'élément matériel dans lequel s'incarne l'idée spirituelle qui finira par devenir une œuvre d'art ou une œuvre de la pensée universelle ; le texte qui s'inscrit dans le lecteur et le transforme. Il est impossible de dire non à ce miracle. C'est pourquoi je n'y ai pas pensé à deux fois quand Morral servit d'intermédiaire et me présenta un homme dont j'ignore le nom, qui vendait deux poèmes d'Ungaretti à des prix démentiels: Soldati et San Marino del Carso, le poème qui parle d'un village en ruine à cause de la guerre et non du temps. È il mio cuore il paese più straziato*. Et le mien aussi, cher Ungaretti. Quelle mélancolie, quelle peine, quelle joie de pouvoir posséder le papier que l'auteur avait utilisé pour transformer en œuvre d'art son intuition première.

Jaume Cabré - "Confiteor" [traduit par Edmond Raillard]

* È il mio cuore il paese più straziato : mon cœur est le pays le plus tourmenté

9 commentaires:

  1. C'est effectivement fascinant, ces manuscrits. Comment ceux des auteurs d'aujourd'hui qui écrivent tout à l'ordinateur peuvent-ils être ?

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    1. Vous touchez précisément à la dématérialisation qui caractérise notre époque.
      En même temps, le fait de pouvoir numériser des manuscrits matériels et périssables leur assure (peut-être) la pérennité et permet de les voir aisément et à tout instant dans le monde entier via internet.

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    2. Effectivement... Je repense aux manuscrits de Soljenitsyne écrivant au goulag sur de tous petits morceaux de papier et ne gâchant aucun espace...
      Bon week end.

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  2. Je me souviens d'une très lebel exposition à BN de manuscrits , je me souviens du brouillon du Pont Mirabeau écrit sans aucune rature ou à peu près . Apollinaire avait donc ce poème dans la tête presqu'en entier!

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    1. Peut-être l'a-t-il écrit d'une traite, ou bien Apollinaire avait-il fait d'autres tentatives pour finir par mettre au net "Le pont Mirabeau" définitif sous la forme de ce manuscrit qu'on connaît ?
      J'ai le manuscrit à l'écran, l'écriture du poète est régulière, horizontale, très belle je trouve et cette mise en page parfaite : on perd tout cela aujourd'hui et on le mesure lorsqu'on doit se passer de traitement de texte.

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  3. Joie de posséder des bibliophiles & autres collectionneurs. Tout en étant attachée à l'écriture manuscrite et à la lecture sur papier, je me contente d'admirer un graphisme, un fac-similé. Bel extrait, merci.

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    1. L'écart entre la joie de posséder et la concupiscence malsaine est vite franchi lorsqu'il s'agit d'objets de haute valeur, mal qui guette les collectionneurs de "Confiteor".

      La perte de l'écriture manuscrite que j'évoque juste au-dessus avec Luocine me concerne particulièrement, je n'ai pas souvenir d'avoir écrit, hormis griffonnage à usage courant, une lettre ou un texte à la main depuis des lustres...! J'admire les écritures régulières, personnelles, reconnaissables, la mienne s'apparente à celle des ordonnances d'un médecin pressé...

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    2. Oh, à ce point ? Pour ma part j'ai gardé le goût de prendre des notes, d'écrire des cartes de vacances, d'anniversaire, de voeux, et j'ai redécouvert le plaisir de la lettre depuis quelques années. En cette période, j'écris tous les jours dans mon "carnet du chez soi" entamé avec le confinement. Il est vrai que l'écriture pâtit d'une trop longue pause.

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    3. Recevoir un mot imprimé n'a pas la même valeur qu'un papier sur lequel à glissé la plume et la main d'une personne chère – ou admirée.
      Je regrette que cela disparaisse avec le tout numérique.

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