Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Kaldy
Bon, direz-vous, encore un truc savant sur le cerveau, recherche en psychologie sociale, recours à l'imagerie médicale avec maintes expériences et chiffres ennuyeux. Eh bien non. La première raison est la constante bienveillance des propos d'Abigail Marsh, toujours prompte à envisager l'aspect humain chez tous les individus qu'elle évoque ou soumet à des expériences. Ensuite, l'objectif est davantage la compréhension des capacités d'altruisme extraordinaire qu'une étude des psychopathes dont elle a surtout observé des cas adolescents, qu'elle sait regarder avec respect et même avec sympathie. Enfin, alors que j'accorde genéralement peu de crédit aux bandeaux, je ne peux qu'être en phase avec celui-ci qui cite Mathieu Ricard : "un des livres qui nous ouvre le plus l'esprit ; il se lit comme un thriller". En effet, bien que la recherche en psychologie dépende de plus en plus d'ordinateurs, scanners et IRM, peu de tableaux et graphiques ici, mais une prose simple qui rend les explications claires et passionnantes.
"Altruistes et psychopathes - Leur cerveau est-il différent du nôtre ?", édité chez HumenSciences, montre que notre degré d'altruisme dépend de la façon dont l'amygdale, zone profonde de notre cerveau, perçoit les expressions de peur chez autrui. Selon les configurations de cet organe, nous pouvons être des héros ou des êtres insensibles à la souffrance des autres. Une bonne partie de l'essai est consacrée au "lait de la gentillesse humaine", c'est-à-dire la propension à soigner et protéger les petits et les êtres moins proches, ainsi qu'aux possibilités de développer l'altruisme, c'est-à-dire «devenir meilleur». À ce propos, l'auteure se montre convaincante en maintenant toujours l'objectivité scientifique (volumineux index bibliographique en fin de volume). Si vous pensez que les gens sont mauvais et égoïstes, ce livre vous étonnera.
L'esprit de l'essai est donc positif. On connaît le test de Milgram dont on a surtout déduit que les individus sont prêts à électrocuter plus ou moins fort autrui sous la pression d'une autorité. Mrs Marsh préfère insister sur le fait que, dans cette expérience, lorsque le participant était à égale distance de l'expérimentateur (l'autorité) et de la "victime", le taux d'obéissance chutait sous les 50%, suggérant un effet de compassion supérieur à celui d'autorité. Ceci a d'ailleurs été confirmé par les expériences de Daniel Batson où la plupart des participants, libres de choisir, préféraient recevoir eux-mêmes les chocs électriques plutôt qu'une personne inconnue en souffrance.
Scores au psychopathy checklist |
Dans la partie "Pouvons-nous être meilleurs ?", Abigail Marsh développe quatre considérations sur la possibilité d'influencer le degré d'altruisme [pp 279-336].
- Nous sommes meilleurs que ce que nous pensons. Notre cerveau présente un biais pour tout ce qui est négatif, la raison en est qu'il n'est pas là pour être précis mais pour assurer notre survie. Nous portons ainsi plus d'attention aux événements tragiques dont nous retenons les détails. Cette asymétrie domine dans tous les domaines, les choses négatives marquent plus que les positives. Les actes graves avec cruauté affichée prennent une importance disproportionnée. "Ces actions sont extrêmement marquantes, car elles sont, paradoxalement, rares et inattendues, ce qui les rend d'autant plus notables et mémorables quand elles se produisent. Il en résulte que même dans un monde rempli de gens qui agissent et s'expriment de manière tout à fait correcte, ce qui est le cas, nous remarquerons et nous rappellerons mieux le petit nombre d'actes très grossiers, égoïstes et trompeurs, et les percevons comme bien plus représentatifs de la réalité que ce n'est le cas." Ceci est exacerbé par les médias car "ce qui les motive n'est pas de représenter le monde sous son vrai jour", mais de "vendre leur papier, leur temps d'antenne et leurs publicités".
- Être vraiment altruiste demande plus que de la compassion. Nous avons tendance à pratiquer l'altruisme en raison inverse de la distance sociale, ce qui est matérialisé par la courbe dite de réduction sociale. L'auteure pense que l'on peut atténuer la pente de cette courbe, car certains changements sociaux (déclin de la cruauté et de la violence au cours des derniers siècles) indiquent que les gens se préoccupent davantage du bien-être des personnes éloignées. Elle cite notamment le nombre de donneurs de reins vers des inconnus aux États-Unis. Puisque ce ne saurait être dû à une modification génétique vu la rapidité du changement, cela doit correspondre à une évolution culturelle.
- Ce n'est pas une affaire de maîtrise de soi. L'ensemble des travaux renforce l'idée que l'altruisme n'est pas une tentative d'agir noblement, mais que l'envie de prendre soin des autres (allomaternage) et de coopérer est profondément enracinée dans des régions de notre cerveau de mammifère. Celles-ci nous poussent à agir avant que nous comprenions pourquoi nous agissons, ce que confirme l'imagerie médicale. Bertand Russel en 1950 : "Il existe une théorie parfaitement fallacieuse avancée par d'honnêtes moralistes selon laquelle on peut résister aux désirs au nom du devoir et de principes moraux. Je dis que c'est fallacieux, non parce qu'aucun homme n'agit en fonction d'un sens du devoir, mais parce qu'il le fera s'il en a d'abord le désir." Les expériences de laboratoire suggèrent que ce n'est pas la réflexion rationnelle qui incite à prendre soin des autres.
- Néanmoins, des changements culturels clés [l'apparition du livre, notamment, un extrait prochainement] font que nous sommes plus portés à prendre soin d'autrui. En expliquant que nos structures cérébrales sont non seulement déterminées par nos gènes mais aussi par des forces culturelles qui affectent le degré de compassion et d'attention envers les autres, Abigail Marsh conteste l'idée reçue selon laquelle les sociétés collectivistes sont plus généreuses que les cultures individualistes considérées égoïstes. Le collectivisme privilégie les liens au sein de la communauté et a tendance à affecter la bienveillance à l'égard de nouvelles personnes et des étrangers (mobilité relationnelle). Mrs Marsh avance que dans les sociétés individualistes, tout le monde peut devenir un ami, alors que chez les collectivistes, l'étranger aura tendance à rester un étranger. Ces affirmations sont soutenues par des études chiffrées.
Cela a-t-il vraiment un sens de penser que, à l'instar de philosophes tels Hobbes, l'homme est naturellement mauvais, «un loup pour l'homme» ? Ou l'être humain est-il naturellement bon ? La recherche scientifique apporte un éclairage appréciable sur les questions philosophiques. Dans ce cadre, il peut être intéressant de considérer les travaux de Henri Laborit.
Cet essai rappelle Pierre Bayard avec "Aurais-je été résistant ou bourreau ?", où l'inconscient joue un rôle majeur, composante qu'appréhende très différemment la recherche en psychologie sociale, moins conjecturale.
J'ai beaucoup aimé le livre de Bayard, et là, j'aurais tendance à me pencher sur ce nouveau, si vous me dites que ce n'est pas trop compliqué à lire.
RépondreSupprimerEt cet amygdale si important, on peut le transformer? Ou c'est bloqué?
Pas compliqué du tout mais quand même long, près de 400 pages.
SupprimerJe n'ai pas connaissance d'interventions chirurgicales ou autres sur l'amygdale du cerveau. C'est bloqué, si on veut, sinon que comme Mrs Marsh le développe dans le livre, l'altruisme peut être amélioré par l'éducation et la culture. Mais le troisième point du volet "pouvons-nous être meilleur" précise que ce n'est pas affaire de volonté. Quand certains ont des comportements altruistes extraordinaires (héroïques), ils avouent avoir agi sans se poser de questions. Ce que confirme l'imagerie du cerveau, l'impulsion vient de la partie primitive de celui-ci. De même pour les psychopathes, à l'autre bout de la courbe.
J'ai rendu le livre à la bibliothèque, j'espère qu'il sortira en Poche, je l'achèterai.
Merci. J'ai vérifié, rien à la bibli. Mais le poche, on peut voir.
SupprimerVoilà un sujet passionnant, des questions que nous nous posons si souvent. Je note ce titre, de quoi éclairer la réflexion sur l'inné et l'acquis.
RépondreSupprimerL'inné et l'acquis sont des notions souvent si floues et abstraites chez maints savants et penseurs. Ce qui est passionnant ici, c'est que toutes ces notions prennent une dimension très concrète au travers de faits de vie, de tests psychologiques rigoureux et d'images du cerveau en activité. Une auteure très pédagogique.
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