1 octobre 2020

Bienfaits du roman

Les livres ne sont pas que des réservoirs de connaissances, pas que des modes d'emploi. Peu de personnes liraient s'ils n'étaient que cela. Ce sont aussi des fenêtres sur l'esprit des gens qui les ont écrits et sur les personnes qui y sont décrites. Le roman, en particulier, représente ce que le psychologue Keith Oatley appelle « le simulateur de vol de l'esprit », un véhicule pour explorer les riches paysages mentaux et émotionnels de gens que nous n'avons jamais rencontrés.

La fiction, en donnant le moyen d'accéder émotionnellement et mentalement à ce que vivent des gens de cultures très différentes, nous permet de nous investir émotionnellement dans les personnages que nous rencontrons, de nous soucier de leurs ennuis et de leur sort. Bien que n'importe quel média puisse en théorie avoir cet effet, que ce soit la télévision, le cinéma ou la radio, l'écrit a peut-être une force unique pour faire tomber les barrières entre les groupes et les cultures. Cela est dû en partie au fait que la personne représentée par des mots est complètement abstraite et débarrassée de tout aspect concret, que ce soit son accent, son type de vêtement ou ses attitudes, qui pourrait la faire assimiler à un groupe extérieur dont le bien-être serait peut-être moins valorisé en cas d'interaction directe. En permettant au lecteur de percevoir le monde à partir du mental d'une personne désincarnée, le roman donne l'occasion aux gens de tous les horizons d'apprécier au plus profond d'eux-mêmes l'universalité de leurs émotions et expériences, réduisant par là les obstacles de la compassion pour autrui. 

Steven Pinker a justement souligné que le développement de l'alphabétisation a joué un rôle majeur dans le déclin historique de la violence, probablement en renforçant directement la capacité des gens à s'intéresser au sort des autres. Cela a été confirmé par des études [Daniel Batson] montrant que le contact avec l'écrit peut augmenter l'empathie et la compassion pour les étrangers. 

Abigail Marsh - "Altruistes et psychopathes - Leur cerveau est-il différent du nôtre ?"

[Traduction Pierre Kaldy]

8 commentaires:

  1. Merci pour le passage, intéressant, bien sûr, et, c'est vrai, lisible. J'ai déjà lu un livre de Pinker, L'instinct du langage, qui date peut-être un peu.

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    1. Belle lecture, il date peut-être mais "L'instinct du langage" doit rester une référence dans le domaine.
      Le langage est un thème que j'aimerais aborder, Pinker est du côté de Chomsky, pour lequel le langage est inné, à l'opposé de comportementalistes tels B. Skinner dont j'ai justement lu le parcours dans un article de "Sciences humaines".

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  2. Ce sont surtout des fenêtres, tournées à la fois vers l'extérieur ET l'intérieur.
    Merci. Bonne journée !

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    1. Des fenêtres : je lis en ce moment le dernier livre de Pascal Quignard à l'univers si particulier. Il parle merveilleusement des livres, de ces fenêtres que vous évoquez : "Le livre codex ouvre deux pages. C'est un angle, dans l'espace, où le visage s'introduit, où la vue plonge.".

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  3. "Simulateur de vol de l'esprit", voilà une image qui me parle ! A répéter à un fan du dernier Flight Simulator...

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  4. Intéressant passage, "explorer les riches paysages mentaux et émotionnels de gens que nous n'avons jamais rencontrés." Et éprouver une compassion, oui, mais relative je trouve. Sans voir les larmes, les corps, les rires aussi, les mots mettent toujours une distance entre les personnages et nous-mêmes.

    Merci pour cet extrait, à bientôt. les jours raccourcissent, je serai plus présente sur les blogs...J'espère que vous allez bien.

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    1. En lisant le passage, je me suis fait la même remarque. Je me demande toutefois si chez des personnes au degré d'empathie limité, qui n'ont pas votre niveau d'instruction, ni donc votre bagage de lectures, il n'existe pas des barrières plus difficiles à vaincre vis-à-vis de personnes étrangères. La psychologue évoque «accent, type de vêtement ou attitudes, qui pourraient faire assimiler la personne à un groupe extérieur dont le bien-être serait moins valorisé en cas d'interaction directe».
      Je regrette un peu dans ces lignes les deux « peut-être » et le « probablement » qui manquent de rigueur scientifique, mais ces mots sur les livres sont une parenthèse dans l'essai. J'aurais aimé pouvoir vérifier la bibliographie scientifique éventuelle à l'appui de ces réflexions mais je n'ai plus le bouquin ici. Il faut aller voir du côté d'un rationaliste optimiste tels que Steve Pinker.

      Ne vous tracassez pas d'être plus ou moins présente sur les blogs, de mon côté j'ai pris la liberté d'y passer moins et surtout plus silencieusement.

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