Voici dix-sept nouvelles parmi les cent-vingt-quatre que je dénombre de l'auteur. Elles enrichissent la chronique du comté de Yoknapatawpha, cette région fictive du Deep South bien connu du lecteur faulknérien. Je les ai trouvées de qualité inégale, la plupart sont excellentes, d'autres m'ont ennuyé, peut-être simplement parce que je ne souhaitais pas à ce moment faire l'effort requis pour les appréhender, car on le sait, aucun écrit de Faulkner n'est du tout-venant à lire normalement.
De ces "Histoires diverses", je relirais volontiers "Les hommes de haute stature" ("The tall men"), "Deux soldats" ("Two soldiers"), "La broche" ("The brooch") ou "L'incendiaire" ("Barn burning"). Par contre, mon flop ira à "Ils ne périront point" ("Shall not perish"), à la conclusion ridiculement nationaliste.
Tant de nouvelles : ne serait-il opportun de se procurer le volume de La Pléiade qui les rassemble toutes ? Un article de "En attendant Nadeau" (Claude Grimal) ne trouve pas cela justifié, d'abord parce que posséder toutes les nouvelles serait affaire de spécialistes, puis les textes courts de Faulkner sont de qualité très inégale, avec "des textes pour beaucoup de si faible intérêt que même le très pratique argument «intellectuel» (le fameux «éclairage» sur «l’apprentissage», «le devenir», le ceci ou le cela d’un écrivain) aura du mal à convaincre".
Il arrive que les nouvelles de Faulkner soient des textes annexes de romans, car elles reprennent des personnages de grandes familles qui composent la trame de l'œuvre romanesque : ainsi, j'ai un très bon souvenir d'un petit Folio avec "Septembre ardent" et "Soleil couchant", dont l'intérêt ne peut naître que de romans déjà assimilés.
Je trouve dans l'article mentionné plus haut une autre problématique cruciale sur la lecture de William Faulkner, à savoir le rendu du style en langue française :
"[...] les notices conclusives effectuent [...] des mises au point sur des aspects historiques, sociologiques et psychologiques mais abordent peu le domaine stylistique, très difficile à traiter pour une œuvre en traduction. Ce quasi-silence révèle justement la traditionnelle difficulté de la transposition en français. Les traductions de ces textes des Nouvelles, révisées ou réalisées plus récemment, sont l’œuvre de bons ou d’excellents spécialistes, mais c’est comme si le « faulknérien », cette langue si particulière, ne parvenait pas tout à fait à s’y faire entendre.
En effet, Faulkner, quand il est à son meilleur, déploie à l’intérieur des mêmes textes – et ici on simplifie affreusement – une écriture qu’on pourrait dire « aller de soi » parallèlement à une autre qui, suspendant le sens, force à une expérience émotionnelle de lecture très particulière. De cette dernière écriture, il faut saisir la clé tonale qui seule permet, en entendant une voix narrative intermittente et bouleversante, de surmonter les apparentes difficultés d’une syntaxe altérée, du flot d’images, des ambiguïtés et des redoublements, de la précipitation rythmique… Alors s’élève la « sorte de mélopée ou d’invocation », typique de l’intensité dramatique faulknérienne, dont parlait l’écrivain Conrad Aiken. Elle est ici souvent peu perceptible, et la beauté symphonique faulknérienne reste inaudible (tant dans le domaine tragique que dans le registre grotesque [*], qui souffrent tous deux soit de platitude soit de patoisisation)."
Une solution peut être de toujours disposer d'une version originale pour intercepter cette "mélopée", cette "clé tonale". À défaut, lire Faulkner en français peut laisser un sentiment d'inaccomplissement.
Mais on peut y accéder, l'effleurer. Relisons [extrait prochainement] la course de l'enfant à la fin de "L'incendiaire", dont Claude Grimal écrit que le lecteur y "aura l’exemple d’un des moments les plus saisissants de l’écriture faulknérienne. Il comprendra alors pourquoi toute une génération américaine eut à se plaindre de devoir écrire « dans l’ombre » du génial écrivain du Mississippi ".
[*] dans le registre grotesque, on pense à "Un mulet dans la cour" du présent recueil.
Vous aurez lu tout Faulkner, il me semble. Il faudrait le lire dans sa langue originale pour appréhender vraiment ce style hors du commun. Merci de nous parler de ces nouvelles et de nous proposer un extrait bientôt.
RépondreSupprimerJ'ai déjà beaucoup lu Faulkner, six romans sur dix-huit et un cinquième des nouvelles.
SupprimerJe devrais me lancer bientôt dans le cycle des Snopes ("Le Hameau", "La Ville" et "Le Domaine") du gros Quarto Gallimard.
J'essaierai encore une fois de me procurer les VO en numérique pour m'assister dans la quête de la voix narrative authentique.
Hello il y a longtemps que je ne suis pas venue vous rendre visite
RépondreSupprimerFaulkner est toujours à mon programme de lecture pour cette année qui vient, par contre les nouvelles je suis un peu réfractaire au genre alors ....
Bonjour Dominique, content de vous lire.
SupprimerJ'ai rencontré sur internet une préface de René-Noël Raimbault, remarquable à mes yeux : celle du Folio "Treize histoires" (je n'ai pas encore le recueil). Elle exprime la difficulté rencontrée par tout lecteur avec l'auteur américain.
Extrait : "...la peinture de la vie toute nue, toute simple, sans unité ni continuité, sans lien logique entre les événements, et, partant, dépourvue de cette succession spécieusement ordonnée qu'il nous plaît d'appeler action, lui [au lecteur] apparaît comme une indéchiffrable énigme."
Je rapporterai ce précieux préambule un prochain billet.