Je savais en commençant que beaucoup avaient apprécié, que la presse avait donné des critiques positives, que c'était un excellent thriller. J'en jugerais. J'ai avancé tranquillement jusqu'à la situation où les éléments semblaient en place, puis une pause dans l'attente d’heures vacantes où je plongerais dans ce qui, manifestement, semblait couver.
Un hameau de trois maisons. Une petite fille et ses parents, leur voisine artiste peintre un rien originale, qui vit seule avec un berger allemand, puis une maison vide en location. On a de l'empathie, c'est paisible, attachant, des lettres anonymes quand même, mais Christine, la peintre, n'en fait pas un plat, des gens n'aiment pas son indépendance artistique. Puis, le jour où on fêterait l'anniversaire de Marion, quarante ans, deux types débarquent. Quand la gamine Ida revient de l'école, elle trouve Christine avec ces types, le chien mort lardé dans la grange. Patrice revient de la ville, sur le siège un ordinateur pour offrir à sa femme le soir, il est surpris de ne pas connaître ces visiteurs. Puis un troisième individu arrive, ils s'imposent pour la soirée d'anniversaire, mielleux et autoritaires. Voilà les éléments en place, n'en disons pas plus, Marion va revenir du travail.
Repris à partir de là un dimanche début d'après-midi : pffft... Aspiré jusqu'en fin de soirée. Suspense mémorable, une réussite.
Un des reproches qu'on peut trouver à ce récit oppressant est sa sinuosité (Le Figaro) et sa lenteur, c'est quand même 640 pages et certains préfèrent les suspenses brefs et incisifs. Mauvignier s'attarde volontiers sur les détails psychologiques, explore les personnages en profondeur, ce qui ralentit l'action. J'ai sur ce point beaucoup apprécié une phrase d'Anna Cabana (JDD) qui voit le bénéfice de ces atermoiements : "Il écrit comme on peint quand on a la folle ambition, à force de tourner autour de la vérité, lentement, très lentement, de l’encercler jusqu’à lui faire rendre grâce."
Parlons de l'écriture de Laurent Mauvignier. J'ai failli m'en agacer au début, puis fini par apprécier ses ressources, son sens cinématographique. Ainsi le montage alterné : lorsqu'on tue le berger allemand pendant que Christine prépare des gâteaux, les phrases se mêlent, la pâte et le chocolat relayés par le couteau qui perce les côtes du chien, blanc en neige, couinement de la bête, bain marie, gueule en sang.
Cette façon aussi de donner à éprouver, lorsque la fillette, en pénétrant dans la grange, songe qu'elle ne sait pas dessiner comme la voisine artiste : "... elle a de la chance de savoir faire ça. Il y a des gens qui savent, mais moi, se dit-elle au moment où elle entre dans l'étable, où elle est accueillie par la fraîcheur et par l'odeur terreuse, herbeuse, des vaches et du foin, par l'odeur de lait aussi et des bêtes elles-mêmes, des déjections et des mouches qu'elles attirent, avec les mugissements impressionnants, comme multipliés par le plafond et les murs de parpaings, moi, je ne sais pas." Les derniers mots tombent tard, le fil de pensée est interrompu par l'atmosphère prenante de l'étable que le lecteur ressent avec l’enfant.
Pour achever de convaincre, je vous invite à lire l'analyse de Morgane Pernet sur l'excellent site Zone Critique, qui disserte sur le pouvoir de la fiction façon Mauvignier. Elle mentionne "l'empathie que l’on éprouve pour les personnages qui rend le roman si touchant", une "maîtrise romanesque, stylistique et littéraire" et questionne finement : "Avez-vous remarqué la beauté des débuts de chapitres ? "
Bien entendu, les personnes indisposées par les récits noirs s'abstiendront, mais ne fût-ce que pour ce style hors normes, il est bien de le tenter.
Brrr, ce début m'a rappelé le traumatisant "Orange mécanique", je me range parmi les personnes que la violence indispose. Merci pour le billet, tout de même, qui me fait découvrir votre lecture attentive de ce roman.
RépondreSupprimer"Orange mécanique" est beaucoup plus effrayant. On est plus ici dans une inquiétude «domestique», quelque chose qui semble pouvoir arriver à tout le monde, ce qui justement provoque le frisson.
SupprimerBonne semaine Tania.
J'étais captivée aussi, surtout par l'écriture.
RépondreSupprimerComment ne pas l'être, ça m'encourage à rester au courant des dernières sorties littéraires, de ce qui « marche », ce que j'oublie parfois.
SupprimerJe tourne autour de ce livre depuis un moment. Comme Tania, je crains la violence mais je sais que Mauvignier est un grand écrivain.
RépondreSupprimerUn grand écrivain, oui, on ressent une impression de maîtrise tout du long. Si cela peut vous rassurer, il n'y a pas d'horreur de mauvais goût, tout est plutôt dans l'atmosphère angoissante.
SupprimerBonjour Christw, je suis en plein dedans, j'en ai lu la moitié. J'adore et l'histoire et le style de Mauvignier. c'est remarquablement écrit. J'ai hâte de le terminer pour en écrire un billet nettement moins écrit. Bonne journée.
RépondreSupprimerContent de vous lire, Dasola, j’irai voir votre billet.
SupprimerÀ bientôt.