18 juin 2021

Colonie banane


On se laisse facilement happer par cette histoire presque incroyable, cet exil dans une colonie africaine d'un jeune type sans grandes compétences qui se voit promettre du « Monsieur le Directeur » dans une succursale où on produit des bananes. Le pauvre Victor, avec la bénédiction crédule 
d'une grand-mère surprotectrice et très vite soustrait à leurs illusions, y trouve la bassesse fiévreuse et les couleurs extravagantes d'un univers qui laisse peu de place aux vertus civilisatrices de la colonisation.

Le livre refermé, les questions arrivent : d'où Paule Constant, qu'on n'avait jamais lue, dont on sait peu sinon qu'elle est de l'Académie Goncourt, d'où cette écrivaine tient-elle cette férocité amère ? La réponse peut venir de la quatrième de couverture de "Mes Afriques" (Quarto Gallimard) : "chaque roman dessine sa géographie dans des Afriques sans cesse réinventées. [...]. De la douleur enfouie est né un monde que Paule Constant continue d'explorer." Car Paule Constant a connu une enfance brinquebalée à travers le monde, où la violence et la douleur étaient présentes.

La pénibilité du travail des indigènes dans la bananeraie, la lumière bleutée électrique permanente et les insecticides balancés par avion, les odeurs de pourri, la maquerelle Ysée et son manuel Miss Priddy pour des putains propres et blondes, Lola qui rêve de peau clairele faux prêcheur aux mains sales, et Allez Louya, le baptême d’un chimpanzé, d'où viendrait toute cette virulence, sinon d'un passé dont elle est rescapée ? Comment penser le jeu cruel de la chaude-souris, si elle n'y a pas assisté douloureusement un jour ?

Et le white spirit : ironie, pas l'essence, mais joli vocable choisi par les vendeurs de "La Ressource de l'Africain" pour vanter les vertus blanchissantes d’un poison en poudre. Et frère Emmanuel, prédicateur de pacotille, les emmène tous au paradis, produit blancheur, esprit pur, jusqu'à l'absorption et la mort collective.

Et au bout, un happy end quand même, en clin d'œil, mais qui ne rassure pas vraiment.

Paule Constant, c'est une plume. Attendu, direz-vous, pour un couvert Goncourt (encore que Pivot en était mais n'en est pas une). Une plume très alerte, on ne s'ennuie pas une seconde dans ce roman éclatant.


"Rien ne valait les files étroites, rectilignes à travers la plantation, à un rythme soutenu. Les responsables y veillaient, toujours à houspiller, toujours à réclamer plus vite, quick dans l'anglais banane, plus bref, plus tonique, un cri de perroquet. Kik, kik, scandaient les coolies pour s'encourager dans la forêt de bananes. Kik, leur disaient les types qui revenaient à vide, kik. Une course contre le temps, contre le ramollissement, le jaunissement, le pourrissement de la banane. Kik, si on ne voulait pas avoir tout écrabouillé à l'arrivée. KIK, KIK, KIK, la bananeraie entière crécelait comme une nuée de cacatoès."

12 commentaires:

  1. j'ai certainement tord mais je lis peu sur l'Afrique je ne parviens pas à m'y intéresser sans que je sache pourquoi, Paule Constant je la connais depuis longtemps mais je ne la lis plus depuis longtemps aussi ! hélas ?

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    1. Je découvre cette auteur que je connaissais de loin et à travers ce roman-ci, je suis épaté. Je ne sais pas si ses autres œuvres m'intéresseraient, mais c'est à poursuivre.

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  2. Je viens de fouiner sur wikipedia, il me semble que j'ai lu La fille du Gobernator et Un monde à l'usage des demoiselles. On en parle peu, de cet auteur, j'ai l'impression, mais ça pourrait s'arranger pour moi, avec ce White spirit dont vous parlez.

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    1. "La fille du Gobernator" est dans l'esprit de ses livres sur les colonies, "White spirit" étant le plus mordant.

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  3. Un titre que je retrouve dans ma bibliothèque, sans rien de souligné. Ne subsiste de cette lecture qu'une fiche de résumé et aucune trace de "Confidence pour confidence", prix Goncourt. Sans doute ai-je été moins sensible à sa plume que vous.

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    1. Les goûts et les couleurs, comme on dit... Je pense que "Confidence pour confidence" n'a pas été un gros succès et a connu une polémique liée à Houellebecq...

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  4. Un thème un peu "lointain" pour moi. Un peu comme Dominique.
    Bon week end.

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  5. Bien tentant... pourrait me faire découvrir cet auteur que je n'ai jamais lu ;-)

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    1. Bonjour Sibylline. Pas très lue au fond, Paule Constant. À moins d'avoir peur de regarder en face l'absurdité et la loi du profit maximum qui caractérisent bien des entreprises humaines, c'est un bonne lecture selon moi. En suivant le premier lien du billet, un éventail de critiques presse.
      Belle journée, bonne semaine.

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  6. Oulà, vieux souvenir de lecture, d'ailleurs oubliée, la lecture ... je me souviens seulement que j'étais tombée sur ce livre au moment où je devais écrire sa dèf. , et que ça m'avait servi pour avoir un exemple (https://www.cnrtl.fr/definition/white%20spirit). Merci de me remémorer la chose, je vais retourner vers ce texte ... :-)
    Bon dimanche !

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    1. Merci de rappeler l'extrait donné par la définition, il est significatif de l'esprit du livre de Paule Constant. J'ai emprunté en bibliothèque 'Des chauves-souris, des singes et des hommes", pas encore commencé. Il y est question de l’épidémie du virus Ebola.
      Belle journée Nikole.

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