Au cours des jours qui suivirent, je reçus de nombreuses visites, et le berger, que j'avais surnommé Batka – ce qui veut dire petit père, ou pépère, en russe –, eut beaucoup de succès auprès de mes amis, passé le premier moment d'appréhension. En dehors de son poitrail de catcheur et de sa grande gueule noire, Batka avait des crocs qui ressemblaient aux cornes de ces petits taureaux que l'on appelle au Mexique machos. Il était pourtant d'une grande douceur ; il reniflait les visiteurs pour mieux les identifier ensuite et, dès la première caresse, shook hands, leur offrant la patte comme pour leur dire : «Je sais bien que j'ai l'air terrible, mais je suis un très brave type». Du moins, c'est ainsi que j'interprétais les efforts qu'il faisait pour rassurer mes invités, mais il va sans dire qu'un romancier se trompe plus facilement qu'un autre sur la nature des êtres et des choses, parce qu'il les imagine. Je me suis toujours imaginé tous ceux que je rencontrais dans ma vie ou qui ont vécu près de moi. Pour un professionnel de l'imagination, c'est plus facile et cela vous évite de vous fatiguer. Vous ne perdez plus votre temps à essayer de connaître vos proches, à vous pencher sur eux, à leur prêter vraiment attention. Vous les inventez. Après, lorsque vous avez une surprise, vous leur en voulez terriblement : ils vous ont déçu. En somme, ils n'étaient pas dignes de votre talent.
Romain Gary - "Chien blanc" (Folio n°50, 1970) (pp 12-13)
Un livre que j'avais beaucoup aimé car j'avais admiré sa justesse.
RépondreSupprimerDa la sincérité et de la justesse, en effet.
Supprimerun livre totalement inconnu pour moi, Romain Gary je ne connais que les romans les plus connus
RépondreSupprimerC'est comme vous et je l'ai emprunté justement pour cela, par curiosité. Il m'a semblé différent de ce dont je me souviens de l'auteur.
SupprimerImmense Romain Gary...
RépondreSupprimerLa citation de Romain Gary vient-elle de Chien blanc ? Si oui, pourriez-vous me dire à quelle page de quelle édition ? Merci !
RépondreSupprimerOui bien sûr comme j'ai indiqué sous l'extrait, c'est dans "Chien Blanc". Et j'ajoute page 12-13 du Folio n°50 (1970).
SupprimerMais je crois que vous me questionnez pour la citation en fin de billet, je n'avais pas compris. Elle vient de "Chien Blanc", je ne sais plus où. Je l'ai trouvée dans un article du journal "Le monde" sur le livre: https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/04/11/chien-blanc-de-romain-gary_2647883_1819218.html
SupprimerJe n'ai pas beaucoup de temps là pour retrouver le passage en question, mais je peux vous dire qu'il reprend cette idée plusieurs fois dans "Chien Blanc". Page 180 du Folio, il écrit : «Lorsque vous écrivez un livre, mettons, sur l'horreur de la guerre, vous ne dénoncez pas l'horreur, vous vous en débarrassez...».
Ce soir j'essaierai de retrouver exactement la page et reviens vers vous en cas de succès.
Ah voilà, c'est dans un dialogue avec son épouse Jean Seberg, page 47 du Folio :
Supprimer« ... je refuse absolument de faire de la littérature avec les Noirs américains. Mais tu sais bien ce que c'est : quand je me heurte à quelque chose que je ne puis changer, que je ne peux résoudre, que je ne peux redresser, je l'élimine. Je l'évacue dans un livre. »
Oh ! mais comme c'est gentil d'avoir cherché la page ! Merci ! Je suis très touchée.
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