Traduit de l'anglais (États-Unis) par Josée Kamoun
Vieillir, c'est perdre. Perdre des parts de santé, accepter l'amoindrissement physique et la solitude lorsque l'entourage se dépeuple, perdre les proches qui sont nos plus belles saisons, nos plus belles causes, voilà le lot de chacun(e), "Everyman" est d'ailleurs le titre original de ce roman de Philip Roth. J'ai placé spontanément la figure de l'écrivain sur le personnage central – la part de lui-même qu'il y a mise, je n'en sais rien, mais ce ne saurait être tout à fait un autre, cet homme charnel, aimant et imparfait, direct jusqu'à l'inconvenance, assez tricheur pour ruiner de solides affections, bouleversant de regrets, dont quelques gambades et accrocs de la vie nous sont racontés, là au bord de sa tombe qu'on rebouche.
"Il était temps de s'inquiéter du néant. L'avenir lointain l'avait rattrapé."
J'ai particulièrement retenu des lignes très pertinentes sur la douleur physique – l’élève Millicent Kramer, obligée de s'allonger pendant les ateliers de peinture : "Quand vous souffrez, vous vous mettez à avoir peur de vous-même. Cette aliénation absolue, c'est terrible." Être impuissant à soulager qui veut mourir d’avoir mal est doublement intolérable.
Les femmes les plus charmantes sont celles qui n'en ont pas conscience. La rencontre avec Phoebe [ˈfiːbi], la deuxième épouse, est presque romantique : "[...] le jour où elle était passée devant la porte ouverte de son bureau, jeune femme posée, concentrée sur son idée, la seule du bureau à ne pas mettre de rouge à lèvres, grande, pas de poitrine, les cheveux blonds ramenés en arrière pour découvrir son long cou et les petits lobes de ses délicates oreilles d'enfant. «Pourquoi est-ce que vous riez, parfois, des choses que je dis ? lui demanda-t-elle, la deuxième fois qu'il l'invita à dîner."
Arrêtons-nous aussi sur la séquence glaçante en fin de récit où, à la veille de son ultime opération cardiaque, notre homme questionne un fossoyeur du vieux cimetière juif sur son métier, sa méthode pour creuser les tombes. L'exposé de l'ouvrier s'éternise, assez technique, vrai coup de maître à trois pages de la fin qu'on connaît. Quel écrivain quand même ! Je pensais revenir vers Roth après la lecture en demi-teinte du complexe de Portnoy, bien m'en a pris.
"Un homme" est un roman implacable, qu'on éprouve comme écrit d'un seul jet et qui, par moments, se fait touchant requiem. Philip Roth écrit les choses sans ambages. Le risque ici est destructeur si l'on aime mieux les livres légers, celui-ci est d'une fameuse trempe.
je n'ai pas lu ce titre là de Roth que j'aime par moment mais pas toujours Ici le thème m'intéresse particulièrement je note
RépondreSupprimerje suis en train de lire une sorte de journal botanique d'une italienne qui eu un grand jardin qui faisait l'admiration de tous puis vient la maladie terrible, une SLA, et le jardin perd de sa splendeur comme la botaniste perd sa liberté de se mouvoir
c'est passionnant proche d'un essai philosophique c'est plein de splendides propos sur la nature et même si c'est très différent de Roth je suppose qu'on doit y trouver des similitudes ( Ce que je n'ai jamais dit à mon jardin de Pia Pera )
Une maladie qui frappe surtout quand l'âge avance, c'est bien dans le thème, encore que Roth ne parle pas de son jardin, vous vous en doutez. Le livre de la botaniste malade a connu un beau succès en Italie, un jardin en Toscane sur une toile de fond si tragique, on doit y trouver bien des ressources intérieures.
SupprimerVotre intérêt est communicatif, j'essaierai de trouver ”Ce que je n ai jamais dit à mon jardin” prochainement.
Du cycle "Nemesis", je n'ai lu qu'"Indignation" - j'y reviendrai peut-être avec ce titre, à un moment où je me sentirai de taille pour renouer avec cet écrivain "implacable".
RépondreSupprimerJ'irai voir ce que vous pensez d'"Indignation". Pourquoi pas continuer vers ce titre lorsque j'en aurai l'occasion.
SupprimerJe n'ai jamais accroché à Philip Roth... Pourquoi ? Eh bien, je ne sais pas. Je reste de marbre.
RépondreSupprimerBonne journée.
C'est un bon article de Marc Weitzmann dans Le (nouveau) Magazine Littéraire (2018), où il évoque les derniers mois de Roth, des entretiens et son enterrement, qui m'a donné envie de lire cet écrivain qui ne m'intéressait pas a priori. Je pense que les goûts et dispositions répondent à une dynamique imprévisible au fil de la vie et viendra peut-être pour vous le moment de rencontrer cet auteur ?
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