23 mars 2023

Une pensée en éveil


Les entrées du dictionnaire Yourcenar correspondent à des notices auxquelles ont contribué 41 chercheurs et chercheuses de nationalités différentes et appartenant à plusieurs générations, souligne Bruno Blanckeman (direction et préface de l'ouvrage). 

La table des 325 entrées est consultable iciUn double système de renvois permet une lecture transversale : à la fin de chaque notice, un paragraphe indique les notions apparentées reprises dans le dictionnaire ; il en va de même pour les termes marqués d'un astérisque. Chaque notice est suivie d'une bibliographie pour consulter les œuvres concernées ou pour aller plus loin dans l'analyse.
Présentation de l'éditeur
(clic pour agrandir)

La préface précise que "les notices font le point sur l'état actuel des recherches internationales menées depuis trois décennies sur l'œuvre et la figure intellectuelle de Marguerite Yourcenar". La dimension internationale est à l'image de l'ouverture au monde chère à l’autrice. Le lecteur et la lectrice "de bonne volonté" pourront s'orienter dans le labyrinthe de l'œuvre d'une femme de lettres qui "fonde son autorité sur sa capacité à investir l'ensemble des genres littéraires dont elle hérite [...]". 

Mon cheminement dans l'ouvrage fut dicté jusqu'ici par les livres récemment lus ou en cours, par des termes qui  me sont sensibles et, inévitablement lorsqu'on ouvre un tel glossaire, par le hasard.

Les notes sur les romans "Denier du rêve" et "Le coup de grâce" m'ont remis en mémoire les particularités de ces deux textes que j'avais prisés. Entendons bien, notice ne signifie pas brièveté : pour le premier, pas moins de cinq pages denses, avec cette remarque sur la mise en relation du récit et des personnages avec le mythe (Rome) : "[elle] a dû sentir le besoin d'asseoir le roman sur un fond dont les racines pouvaient lui permettre de donner à un fait divers quotidien la dimension de l'universel". 
Les trois pages de notes sur "Le coup de grâce " soulignent ”la mise en place d’une esthétique de la cruauté et le déploiement d’une violence assez rare chez l'écrivaine” et n’oublient pas les polémiques autour du personnage Eric von Lhomond, typique d'une chevalerie guerrière de la littérature d'avant-guerre (Drieu La Rochelle, Montherlant), dont l'on a déjà évoqué ici un aspect.

En m'arrêtant au mot Alchimie, puisque j'ai entrepris de relire "L'œuvre au noir", je suis resté accroché sur un terme d'une page proche, [l']Acceptant. Il s'agit d'une notion très yourcenarienne qui "marque la volonté, dans un contexte de guerre et d'exil, non dénuée de stoïcisme, de penser la situation en termes d'épreuve, susceptible d'aguerrir la personnalité" (je ne peux m'empêcher de songer à la façon dont Cynthia Fleury invite à dépasser le ressentiment dans "Ci-gît l'amer") : "Dans le monde défiguré de l'après guerre, et à l'encontre des théories à succès de l'absurde, Marguerite Yourcenar refuse d'ériger l'idée de négation en un absolu existentiel sans pour autant hypostasier la puissance de l'action humaine. La figure de l'acceptant, recoupant celle d'Hadrien, devient en cela le modèle porteur d'une philosophie de la vie " [notice/citations de Bruno Blanckeman].

Il va de soi que, à la suite de ces propos, il fallait visiter l'entrée Libre-arbitre. Je vous épargne les détails de l'excellente note que propose May Chehab (Université de Chypre) mais ne peut que la conseiller à la réflexion des philosophes en herbe : Yourcenar oppose la fatalité extérieure et subie à une fatalité intérieure et consentie, "la véritable liberté résidant dans la nécessité intime de se définir soi-même afin d'achever sa « propre forme »", selon une expression de l'épigraphe de "L'œuvre au noir" (première partie).

Enfin, une anecdote. M’interrogeant sur le/la destinataire du poème "Vous ne saurez jamais" de Yourcenar, de concert avec "Espaces, Instants" qui le proposait, nous avons pu compléter avantageusement les informations grâce au dictionnaire à l’entrée Vietinghoff (Jeanne de) : amie de pensionnat de Fernande, la mère de l'écrivaine, Jeanne était une femme de lettres belge qui fut une sorte de figure de substitution maternelle pour Marguerite, dont la mère mourut juste après sa naissance. Elle servit de modèle à plusieurs personnages de l'œuvre. [notes de Valeria Sperti, Université de Naples Frederico II]

J'ai glané cet épais volume, ambitieux et réussi, grâce à l'opération Masse critique de Babelio que je remercie ainsi que les éditions "Honoré Champion".

L'exemplaire dont je dispose est une version semi-poche (12,2 x 19 cm - 923 pages), il existe chez l'éditeur en format plus grand et plus coûteux (15, 5 x 23,5 cm - broché).

11 commentaires:

  1. j'apprécie les éditions Honoré Champion j'ai une vingtaine de livres d'eux en particulier sur Montaigne, Pascal, Sand, etc
    je note immédiatement car je n'avais pas vu passer ce dictionnaire j'aime les dictionnaire autour d'auteur j'en ai un de Montaigne bien sûr, mais aussi Giono et Dostoïevski je vais ajouter celui ci à ma liste et tant pis pour le prix car ils sont en général coûteux

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    1. Vous avez une magnifique bibliothèque personnelle !

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    2. Coûteux, ça dépend du format, le mien est la version format poche économique et n'est pas trop pratique, car épais (923 pages) et lourd ; celui qu'on trouve sur le site de l'éditeur est sans doute plus aisé à manipuler. Le contenu est vraiment intéressant, très riche.
      Il ne saurait être exhaustif, on n'y trouve pas en entrée le personnage Nathanaël, ni "Un homme obscur", que je cherchais ce matin en vue d'un billet.

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  2. Je note, en prenant conscience que je lis de moins en moins d'essais littéraires.
    Merci d'avoir identifié la destinataire du beau poème découvert sur le blog de Colo - je me demandais aussi qui l'avait inspiré.

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    1. En réalité, Colo connaissait le nom de la destinataire du poème, et j'ai pu trouver assez bien d'informations dans le dictionnaire. Le ton correspondait mal à son père ou à Grace Frick.
      C'est agréable de se promener dans ce glossaire au départ d'un terme et choisir diverses directions transversales, selon l'humeur et la disponibilité.

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  3. en ce moment je suis plutôt sur une tendance boulimique de lectures et donc je prends moins de temps pour lire des livres indispensables. mais qui prennent du temps, celui-ci en ferait partie.

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    1. Oui c'est plutôt le genre de livre que vous dites indispensable, surtout si l'on aime s'attarder sur les œuvres de Yourcenar, pour sa "pensée en éveil" et son style.

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  4. J'ignorais également l'existence de ce dictionnaire, moi qui suis une si grande admiratrice de Marguerite Yourcenar ! Merci beaucoup. Je le note pour après la biographie sur Kafka qui vient de paraître et qui va me prendre un certain temps, je pense.
    Merci !

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    1. Ouf ! Cette biographie de Kafka est un monument : bon courage en tous cas, et il y aura une suite.
      Le dictionnaire Yourcenar se parcourt souplement si l'on suit les renvois transversaux d'un mot à l'autre, selon l'envie et l'heure.
      Il vient bien à point durant ma relecture de "L'œuvre au noir".

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  5. J’imagine facilement que ce dictionnaire pousse à relire les romans de MY! Toute me pousse à le procurer, surtout qu'à un des clubs de lecture nous avons analysé "Meḿoires d'Adrien" récemment.
    Merci de nous signaler ce livre. Bonne journée.

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    1. "Mémoires d'Hadrien" fut un de mes livres préférés il y a quelques années. Je relis "L'œuvre au noir", il me semble que j'étais passé à côté la première fois.

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