[Le père de Marie, fillette en internat dans un village côtier normand, y séjourne
afin de la rencontrer. Hésitant, il observe l'enfant durant ses sorties]
"Ayant bouclé l’espagnolette, Fouquet s’assit à sa table, prit une feuille de papier. Il y avait longtemps qu’il aurait dû commencer par là, mais le sentiment éminent de la singularité de sa situation l’avait enfermé au centre d’un système où la personne de Marie ne sortait pas, au fond, du domaine des abstractions, qui est celui des idées, non des gestes. Quand il la voyait s’élancer sur la plage, dans son chandail difforme et démodé, c’était encore une délégation de soi-même qui courait à la mer et quand il la sentait offusquée par le sort, ce n’était pas pour elle qu’il souffrait, mais pour lui. La fibre paternelle qui sert à tricoter des chandails nouveaux, à prévenir les désirs, à deviner les secrets pour mieux les respecter, qui est abnégation et n’attend pas qu’on lui rende la monnaie, qui ne crée pas l’enfant à son image, se réduisait chez lui à la corde d’un violon qui s’émeut de son propre écho."
Antoine Blondin - "Un singe en hiver" (1959)
Pourquoi lit-on un roman dont on a vu au moins trois fois l'adaptation d'Henri Verneuil au cinéma ? Les personnages ont forcément la tête des acteurs, Gabin, Belmondo, y compris Noël Roquevert, le marchand de fusées d’artifice et Suzanne, c'est bien Suzanne Flon, et on les retrouve avec sympathie, parce qu'on les aime bien ces gens de Tigreville (Villerville de fait). Et puis la curiosité, comment Blondin a-t-il développé son histoire, est-ce le film qui porte le livre ? Aurait-on apprécié le roman sans le film ? Il est certain que le passage proposé ci-dessus n'est pas formulé au cinéma.
On ne répondra pas formellement à tout cela, mais quoi qu'il en soit, il arrive que le livre et le film nous aillent comme un gant.
Quand c'est le cas, c'est formidable - vous le montrez bien.
RépondreSupprimerCe n'est pas nécessairement le cas, en effet.
SupprimerAnecdote : j'ai eu un professeur de français en humanités qui insistait sur les illustrations qu'on insérait auparavant dans les romans et qu'on découvrait soudain au détour d'une page, détonnant dans le paysage virtuel que l'on s'était construit en lisant. Il y a un peu de cela dans les rapports livres/films.
Idem pour les couvertures de livres, parfois. L'exercice de la comparaison est intéressant, à condition que le film le mérite. Je pense aux Liaisons dangereuses selon Frears, à Mme Bovary de Chabrol, à La femme de Gilles par Fonteyne, par exemple.
SupprimerC'est vrai et d'accord avec vos exemples (bien que je n'aie pas lu Madeleine Bourdouxhe, lacune à combler).
SupprimerAu fond j'aime bien les couvertures neutres, du genre blanche Gallimard ou Minuit. Mais il est certain que comme tout le monde, une image attirante risque d'influencer un emprunt, un achat, ainsi qu'un bandeau rouge, sans que je m'en rende compte.
Il arrive, oui, que les images coïncident et nous confortent, d'autres où on se sent trahis car la vision du cinéaste diffère tant de notre perception.
RépondreSupprimerQuand l'un complète l'autre, comme le passage que vous citez, quel plaisir.
Je préfère aussi, en abordant un roman, n'en rien savoir, ni une image de couverture. Ni le commentaire de personne, ni une critique même.
Pourtant c'est souvent grâce aux blogs-livres...monde de contradictions.
Bonne journée Christian
Ne rien savoir du tout du contenu d'un roman, c'est souvent mon cas, mais c'est vrai, le rappel d'un titre consulté dans un blog-livre peut favorablement dicter nos choix.
SupprimerDans le cadre de cette discussion livres/films, je m'inquiète d'un réel problème ; je vous cite un extrait d'article paru dans le Monde Diplomatique d'avril 2023 qui dénonce la littérature devenue produit : « Ce qu'on nomme désormais la "fiction" opère l'intégration du roman, du récit et du long-métrage à l'industrie de l'information et du divertissement. Elle pourra se décliner successivement en films, en séries et en jeux. Dans la chaîne de production de "contenus" multisupports, le livre n'est plus qu'un élément. » (les auteures ont écrit l'essai " Le Fétiche et la Plume. La littérature, nouveau produit du capitalisme" - Rivages, 2022)
Voilà la pression de la rentabilité et du succès. L'écriture est « marketée », lissée, interchangeable et, pourquoi pas, produite par une l'intelligence artificielle.
Bonne journée Colette.
Avec mon mari nous en parlions récemment, cette production effrénée de romans-industriels non seulement nous inquiète mais leur succès interroge la qualité de lecture, oui bien sûr. Des auteurs comme Joël Dicker ou Marc Levy écrivent-ils en pensant en images?
SupprimerDes fictions multisupports, c'est bien vu.
De là à faire comme Dominique de Ivre de livres et ne lire ou relire que des auteurs qui ont traversé les années...même si certains ont été mis en films avec succès.
"La littérature comme produit", brrr. Les blogs littéraires ont une belle tâche à accomplir en défendant la littérature comme création.
Supprimer(A condition de ne pas céder aux sirènes du mercantilisme, comme illustré dans ce message reçu via mon blog : "Nous avons des clients qui seraient intéressés par la publication d'articles sponsorisés sur des sites comme le vôtre.")
@Colo : comme Dominique, j'ai tendance à me tourner vers des auteurs "sûrs", parmi ceux qu'on n'a pas oubliés sitôt éteinte la rentrée littéraire. Récemment, j'ai abandonné le dernier J. Coe à cause de ce genre d'écriture lissée qui m'exaspérait dans les premières pages. Je crois pourtant que le livre est correct d'après ce que j'ai lu sur les blogs.
Supprimer@Tania : de l'article du MD mentionné, je tire encore ceci à propos de la littérature comme création :
" il faudrait recréer, selon Walter benjamin, ces utopies intermittentes, «là où quelque chose d'authentiquement nouveau se fait sentir pour la première fois avec la sérénité d'un nouveau matin» ".
Et bravo, Tania, de ne pas céder aux sirènes du sponsoring.
Merci pour ces mots de Walter Benjamin.
SupprimerSi je lisais ce livre, ce serait comme une découverte, vu que j'ai tant oublié du film, sinon son infinie, comment dire ? ... poésie ...
RépondreSupprimerProbablement... Pour ma part, j'ai gardé un souvenir précis du film, mais j'ai dû le voir deux ou trois fois – à des époques différentes.
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