Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie-Claire Pasquier
Le narrateur Nathan Zuckerman – sorte de double de l'auteur Roth – est bien mal loti lorsqu'il décide de revenir à New-York pour une injection de collagène, dans l'espoir de pallier une incontinence urinaire due à un cancer. Caleçon en plastique, impuissance et mémoire défaillante : l'écrivain célèbre est un homme diminué. "Exit le fantôme" (2007) clôture le cycle Zuckerman, débuté en 1974.
Depuis le diagnostic de la maladie, onze ans auparavant, il s'était retiré à la campagne, loin de tout, fermé au monde et son actualité, avec de rares contacts avec le voisinage : ni télévision, ni ordinateur, mais la lecture, la musique. C'est donc en décalage avec son époque qu’il retrouve la ville – tout le monde a un téléphone portable à l'oreille – et il subit rapidement l'agitation intérieure au contact de personnes qui réveillent en lui l'être passionné et pugnace : coup de foudre pour Jamie, une jeune femme mariée ; rencontre avec Amy, la dernière compagne d'E. I. Lonoff – l'auteur qu’il a connu et révère ["Le Monde" suggère qu'on reconnaît la figure de l'écrivain Bernard Malamud] – atteinte d'un cancer du cerveau ; puis le harcèlement d'un jeune écrivain ambitieux, détective littéraire caustiquement croqué, qui espère un soutien pour une biographie scandaleuse de Lonoff – "Une biographie, c'est une licence d'exploitation d'une vie, et qui est ce garçon pour prétendre détenir cette licence ?" [p 177].
Les soins chez l'urologue ne tardent pas à montrer leur vanité, tandis que les passions reprennent le dessus. Le plus pathétique est que le bougre doit d'abord mener ses combats contre lui-même et pourrait difficilement obtenir ce qu'il souhaite : l'inaccessible Jamie d'autant que son propre corps ne répond plus à ses désirs et la défense de l'honneur posthume d'un grand écrivain tombé dans l'oubli.
"Oh, obtenir par ses vœux que ce qui n'est pas soit, autrement que sur la page !" [p 306]
Il trouve un exutoire dans l'écriture de conversations qui n'ont pas eu lieu entre Elle (Jamie, l'objet de la dévotion amoureuse) et Lui : "[...] la «Elle» imaginaire atteignant en plein cœur son personnage comme ne pourra jamais le faire la «elle» de la réalité". Ces passages totalement fantasmés sont inclus dans le texte.
"Mais le lot de douleur qui nous est imparti n'est-il pas en soi assez insupportable pour n'avoir pas à l'amplifier par la fiction, pour n'avoir pas à donner aux choses une intensité qui, dans la vie, est éphémère et parfois même non perçue ? Pour certains d'entre nous, non. Pour quelques très, très rares rares personnes, cette amplification, qui se développe de façon hasardeuse à partir de rien, constitue leur seule assise solide, et le non-vécu, l'hypothétique, exposé en détail sur le papier, est la forme de vie dont le sens en vient à compter plus que tout." [p 170]
Un roman sur la dégradation du corps et de l'esprit, infortunes de l'âge. Avis très personnel, j'ai préféré le Roth de "La tache" (cycle Zuckerman) ou de "Un homme" (cycle Némésis), même si "Exit le fantôme" offre de belles observations sur l'écriture de fictions et les désagréments – c'est un euphémisme – de la vieillesse.
Avec cet opus, le rideau tombe sur le double de l'auteur et on conserve le souhait de découvrir les épisodes antérieurs.
Un compte rendu de "Textes & Prétextes". Un article dans "Le Monde".
Ah, je vous le souhaite, de reprendre Zuckerman à ses débuts. Dans un entretien accordé à Hermione Lee en 1990, Philip Roth disait ceci :
RépondreSupprimer"Fabriquer de la fausse biographie, de la fausse histoire, confectionner une existence à demi imaginaire à partir de la vraie pièce de théâtre qu'est ma vie, c'est ma vie. Il faut bien qu'il y ait un certain plaisir à faire ce métier, et c'est là-dedans qu'il se trouve. Aller déguisé. Jouer un personnage. Se faire passer pour ce que l'on n'est pas. Faire semblant. La mascarade ingénieuse et rusée."
https://www.gallimard.fr/Footer/Ressources/Entretiens-et-documents/Document-Nathan-Zuckerman-double-de-fiction-de-Philip-Roth/(source)/140451
Merci de me renseigner cet entretien qui s'incrit parfaitement dans l'«art de la fiction» : ce "don romanesque fondamental" à propos de soi qui nourrit Roth et dont on ne se lasse pas.
SupprimerAu gré de mes emprunts en bibliothèque, je suis persuadé que le double fictif réapparaîtra bientôt dans mes billets.