3 mars 2024

Déluge de pixels


"Et il pensa que c’était justement ce qui terrifiait Léonard [de Vinci], le déluge, dont le maître était certain qu’il amènerait avec lui la fin des temps. Peut-être pas le déferlement d’eaux tourmentées et bouillonnantes qu’il avait dessiné dans les dernières années de sa vie au Clos Lucé, mais un torrent d’images continu, si abondant, si dense, qu’il deviendrait impossible d’en détacher le regard. Des milliards de formes et de couleurs, des milliards de pixels, agencés pour surprendre, étonner, captiver sans cesse, bombardés dans un flux intarissable et indigeste, une diarrhée dont on ne pourrait se soustraire à moins de renoncer à faire partie du monde. Et ce déluge aurait raison des hommes et de leur intelligence, de leur capacité à vivre et à être, de leur capacité à réfléchir et à s’émouvoir, de leur capacité à aimer. Il les détournerait des choses vraies, les obligeant à voir à travers un écran pour qu’ils n’aient plus jamais à lever la tête, courbant leurs nuques, figeant leurs regards dans la même direction pour l’éternité." 
(Paul Saint Bris - L’allègement des vernis

Ne tombons pas dans le catastrophisme ni dans le défaitisme, mais qu’il est saisissant ce passage d’un auteur dont le premier roman fait mouche.
Aurélien, responsable du département Peintures au Louvre, est un être nostalgique que l’accélération des techniques numériques et l’empire du rendement financier dans les établissements culturels désespèrent.
Voilà qu’il s’agit de restaurer la Joconde, de réduire les couches de vernis qui assombrissent le tableau. L’idée est de lui rendre un aspect plus fringant, plus proche de l’œuvre originale de Léonard de Vinci, et surtout d’amener un surplus rentable de visiteurs au musée - comme s’il fallait davantage de malaises dans les files en quête de selfies avec Lisa.
Le roman est profond, moderne, humain, avançant des questions artistiques préoccupantes sur la conservation et la restauration des tableaux anciens, sur le rapport intime qu’on établit avec une œuvre. En outre, les soixante dernières pages raviront les fervents de rebondissements. 

14 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je retrouve ici parfaitement le plaisir ressenti à la lecture de ce livre original.

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  2. Mais que je suis contente de vous lire sur ce livre qui nous a tant "parlé" à mon mari et moi.
    Et cette fin, la beauté!

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    1. Votre invitation fut fructueuse en tout cas !
      Et oui, la beauté toscane que perçut De Vinci, en maître.

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    2. j'ai beaucoup aimé ce roman et toutes les personnes autour de moi qui ont cédé ont aussi passé un très bon moment
      c'est intelligent, drôle, et instructif mine de rien

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    3. Pour la petite histoire, et loin de la Joconde, j’ai assisté il y a quelques mois à une séance de restauration de L’exode de Jacob, de Cornélis Buys, au Grand Curtius à Liège. C’était passionnant. Voir
      https://www.grandcurtius.be/index.php/fr/actualites/agenda/atelier-ouvert-la-restauration-de-lexode-de-jacob-de-cornelis-buys

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  3. Réponses
    1. Bonjour Luocine. Oui, c’est une réussite !

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  4. Quel plaisir de vous retrouver ! J'ai noté ce livre dont plusieurs ici présents ont parlé aussi en bien. Bonne journée.

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    1. Plaisir partagé, chère Bonheur. J’espère reprendre bientôt un rythme plus soutenu dont m’ont écarté de douloureuses épreuves.

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  5. Je le lirai certainement, merci pour cet extrait qui titille mes propres interrogations devant les toiles animées, les immersions et autres dérives dont je me demande parfois si elles rapprochent ou éloignent des œuvres d'art.
    Ravie de vous retrouver sur ce blog, bonne reprise !

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    1. Merci de donner votre ressenti, merci de vos encouragements. À bientôt chère Tania.

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  6. Très contente de votre retour! Je n'ai pas lu ce roman, pour le moment, du moins

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    1. Bonjour Sibbylline, ça me fait plaisir de vous lire ici.
      La vie est parfois cruelle et il faut du temps pour la reprendre, ne fût-ce que timidement.
      C’est un livre qui me semble vous convenir, que vous soyez amatrice d’art ou pas.
      Belle semaine.

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