30 avril 2024

Assez bien pour eux ?

 

Non non, il ne s'agit pas des mémoires de quelque légendaire Calamity Jane, mais bien un récit de l'affable Bonheur du Jour dont le site émaille presque quotidiennement nos cœurs d'images bienveillantes, cueillies au gré de ses heures et ses jours.

Dans ce livre autobiographique, Marie Gillet raconte comment, enfermée dès sa jeunesse dans une impasse psychologique familiale, elle est née à qui elle est vraiment ; elle a, petit à petit, laissé une existence qui ne la faisait pas grandir et réussit désormais à accueillir ce qu'elle peut devenir, ce qu'elle devient. La lecture l'a grandement aidée dans cette libération. Par un langage simple, généreux, vivant et amical, non dépourvu de malice, Marie explique le rôle toxique de son entourage et celui que les livres ont tenu dans sa transformation.

La première partie émouvante, qui emporte mon adhésion, évoque sa maman brimée par un mari méprisant et autoritaire. Pour cette femme niée, rabaissée, il n'est pas question de prendre un livre en main :
– Moi, lire ? Ah ça ! Jamais ! 
– Non non non ! Non non ! Non non.

D'abord parce que sa nature la porte vers des activités éloignées de l'immobilité silencieuse propre à la lecture : elle travaille sans se ménager et préfère consacrer ses loisirs à causer, se balader, chanter ou danser. Mais il y a sans doute une raison plus significative, car les livres représentent un monde auquel elle ne se sent pas appartenir, son époux lui répète assez qu'elle n'a pas de niveau d'études, qu'elle est bête et ignorante, elle qui gardait les vaches de sa tante. Alors pas question de livres, et qu'on n'en laisse pas traîner sur son chemin, elle les dédaigne, elle les hait.

"Mon pauvre papa et les siens" : à ces termes, répétés à souhait au long du texte, j'imagine un doigt sur une gâchette. Car ceux-là feront subir les mêmes humiliations à Marie : aux yeux de cette famille, rien venant d'elle n'est jamais bon, suffisant, réussi. Comment se faire aimer d'un père qui ne vous estime en rien ? 

Côté lecture, ce sera heureusement une échappatoire, l'enfant est l'amie des signes qu'elle voit dans les livres avant même de savoir lire. Elle leur parle comme d'autres aux poupées. Puis mots et phrases se font le prolongement des signes pour prendre sens. Et s'éveille la passion des livres, avec les listes à lire, tout Zola, tout Balzac, tout Kundera, etc. cette course pour lire tout, le temps des livres qu'on accumule, ce qu'elle nomme les "livres-lignes".

Pour Marie Gillet, les grands seigneurs sont les "livres-chevaliers", ceux qui portent secours, qui peuvent même sauver la vie, car ils "proposent une issue". Leur obstination les fait se rappeler régulièrement à ceux qu'ils souhaitent aider. Ils finissent toujours par tomber d'une boîte ou d'une pile pour qu'on les remarque, par accrocher le regard sur un présentoir, par se laisser reprendre si on ne les a pas compris.

L'existence des livres est au-delà de nous. [...] 
Chaque livre naît pour quelqu'un et arrive 
à point nommé à un moment clé de son existence.

Je vous laisse découvrir les cinq "livres-chevaliers" dont Marie Gillet a choisi de nous entretenir, cinq parmi ceux qui, à des âges différents, l'ont délivrée de l'anéantissement. Elle en parle avec ferveur, avec une tendresse particulière pour le "Journal d'Anne Frank". 

Avec ce récit sincère très personnel, Bonheur du jour rend le plus bel hommage aux livres, à la lecture. Qu'elle en soit remerciée.


Dans un même esprit, on peut consulter "Les livres prennent soin de nous", de Régine Detambel. 

10 commentaires:

  1. Un très beau livre, en effet. Merci de votre avis.

    RépondreSupprimer
  2. un livre qui m'a profondément touché et dont je ferai une chronique très prochainement
    En effet c'est un bel hommage aux livres et à la littérature

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je serai heureux de lire votre chronique, vous pour laquelle les livres sont si importants.

      Supprimer
  3. Heureuse de vous lire à propos de cet éloge de la lecture qui allie la force de la résilience à l'appui des "livres-chevaliers". J'y repensais cet après-midi en lisant Chantal Thomas que je fréquente depuis peu et avec bonheur.
    Elle conclut une des chroniques de "Café Vivre" en ces termes, qui rejoignent le récit de Marie Gillet : "Tel est peut-être le secret du charme qui nous lie pour la vie à nos livres fétiches et à nos livres de chevet : qu'ils nous incitent à tout briser ou bien à approfondir un sens de la continuité, ils détiennent les mots qui nous sauvent." (Nos livres de chevet)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de donner le mot résilience qui s'applique parfaitement au livre de Marie.
      Merci aussi d'apporter la conclusion d'une chronique en passant de Chantal Thomas : le pouvoir des livres permet de nous soutenir sur le chemin que nous tentons de suivre comme il peut briser les chaînes qui entravent l'épanouissement de soi.

      Supprimer
  4. Marie a écrit là, je suis bien d'accord avec vous, avec tous, un livre profond, qui nous remue, léger et gai par moments, qui m'a fait repenser aux livres, oh seuls quelques uns, qui m'ont, comme elle, aidée à suivre mon chemin.
    Parmi eux il y a Don Quichotte, et si vous en avez envie, une belle émisssion où William Marx nous dit que ce livre "peut nous savuver": https://www.youtube.com/watch?v=AIU_7VYyMJQ

    Bonne journée à vous.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonne idée d'enchaîner avec Don Quichotte que vous m'aviez déjà conseillé il y a quelques temps. J'ai eu les deux tomes "poche" en main à la Fnac et finalement je me suis ravisé. Peut-être William Marx va-t-il me décider ? Je vois qu'il publie aujourd'hui justement "Un été avec Don Quichotte".

      Supprimer

AUCUN COMMENTAIRE ANONYME NE SERA PUBLIÉ
NO ANONYMOUS COMMENT WILL BE PUBLISHED