21 juillet 2024

Les feux de la misère

"Naufrages" - Akira Yoshimura
Traduit du japonais par
Rose-Marie Makino-Fayolle
Actes Sud, 1999

Akira Yoshimura (1927-2006) est surtout connu chez nous grâce aux traductions françaises d'Actes Sud. Auteur de romans et nouvelles, il a reçu de nombreuses distinctions au Japon, dont le prix Dazaï en 1966 pour "Voyage vers les étoiles". Il est considéré comme un monument dans son pays, comparable à Mishima.

"Naufrages" raconte, par le regard d'un adolescent, Isaku, la pauvre vie d'un village intemporel de pêcheurs, entre mer et montagne. Certains habitants louent leurs services pour plusieurs années dans des régions lointaines. Au village, la survie, leur seul luxe, dépend de bateaux qui viennent se fracasser, par gros temps, sur les rochers du rivage. Les épaves sont pillées et carrément dépecées au point qu'il n'en reste rien. Pour attirer ces bateaux, les habitants font cuire le sel dans des chaudrons sur de grands feux. Le but est de fournir le sel nécessaire pendant une année, mais fallacieusement, il s'agit d'attirer les navires en perdition tentés de se repérer sur la lumière des brasiers. La capture d'un de ces bateaux, remplis de denrées et fournitures utiles, offre aux villageois un répit pendant des mois, voire des années.

L'œuvre de Yoshimura est sombre, celle d'un auteur qui paraît hanté par la mort. Il écrit au scalpel, dans un style froid et épuré. La simplicité narrative ne laisse pas transparaître d'émotion. La mort s'écrit dans le flux ordinaire du récit, presque banale, inattendue, sèche et, pour ma part, ces sentences lapidaires m'ont remué.

L'épouse de l'auteur, Setsuko Tsumura, est une écrivaine de renom au Japon. Elle est non traduite en français. Le couple, selon un pacte conclu entre eux, ne lisait jamais les livres de l'autre. Aujourd'hui, elle découvre l'œuvre poignante et singulière de son époux. 

"Naufrages" est un roman inexorable et magnifique. Je songe à Yasunari Kawabata – encore que ce dernier soit beaucoup plus étrange et impénétrable – que j'ai beaucoup lu en 2022 (non chroniqué hormis "Pays de neige"). Yoshimura en était un fervent admirateur.

Quatrième de couverture (clic pour agrandir)

8 commentaires:

  1. un livre que j'ai beaucoup aimé, lu il y a presque dix ans je l'ai encore bien en mémoire
    comme vous je l'ai trouvé très puissant, effrayant aussi mais tellement humain
    je partage votre admiration pour Kawabata dont j'ai lu les principaux romans ainsi que quelques publications plus récentes en numériques (si elles vous intéressent ...)

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    1. Kawabata, j'en ai lu beaucoup (y compris "Les belles endormies" que j'ai trouvé plus artistique que scandaleux comme on le dit) et notamment l'essai de Cécile Sakaï. Je n'ai malheureusement pas emporté ces livres avec moi lors du récent déménagement (j'allais écrire rétrécissement).
      Si vous avez quoi que ce soit de Kawabata en numérique, je suis preneur.

      Merci Dominique, bon dimanche.

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  2. Le sujet fait un peu peur, mais j'avais apprécié la puissance évocatrice de cet écrivain dans "Le convoi de l'eau", aussi ce titre est noté.
    Bon 21 juillet, Christw, même si à Liège, on fête plutôt le 14, dit-on.

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    1. Un roman triste et rude, mais c'est très bien. Puissance évocatrice est une bonne expression pour qualifier le travail de Yoshimura.

      Le 14 juillet est fêté à Liège, il y a un beau feu d'artifice auquel nous assistions auparavant. Je ne sais pas s'il y a des festivités prévues à Liège aujourd'hui. Si j'habitais Bruxelles, j'irais peut-être au Cinquantenaire ce soir...

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  3. J'avais repéré ce titre pour le book trip en mer sans trop être sûre si ça valait vraiment le détour. Me voilà fixée, merci.:) Hâte de découvrir cet auteur japonais que je n'ai pas encore lu.

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    1. Merci à vous de passer ici.
      "Médecin du large", que je poste aujourd'hui, conviendra peut-être au thème 'Book trip en mer 2024" ?

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  4. Ah, chouette, vous avez apprécié la force de ce roman. Le convoi de l’eau est très puissant, et dur, et beau aussi.
    Bonne journée Christian.

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    1. J'ai mis dans mes projets "Le convoi de l'eau", merci de m'avoir orienté vers Yoshimura et "Naufrages" que vous aviez qualifié, à juste titre, de magnifique.
      À bientôt, Colette.

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