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Les Éditions de Minuit, 2011 - 62 pages |
Écrit d'une seule traite, sans points, les 55 pages de cette phrase-texte sont un réquisitoire emporté et saisissant contre l'assassinat par des vigiles, d'un vagabond coupable d'avoir bu une canette de bière dans un supermarché. Les faits s'inspirent d'un fait réel survenu à Lyon en 2009. Le roman de Mauvignier s'accorde avec les événements relatés dans la presse ("Le Monde"), bien qu'il soit question de vols de bouteilles dans celle-ci, ce qui enlève peu au scandale. Le pauvre hère, cet oublié, aurait-il même volé un casier de bière, on ne bat pas à mort pour cela.
L'écriture de Laurent Mauvignier, d'une extraordinaire efficacité, est déroutante, saccadée, se livre en coups de poing.
Extrait :
[Le narrateur s'adresse au frère de la victime.]
[...] et dire que les vigiles l'ont aussi débarrassé de ça, ce moment où quelqu'un voulait le revoir et que lui aussi voulait revoir, entre cette gare et la rue de Lyon, quelqu'un qui est venu et a dû l'attendre, peut-être pas des heures, mais sans doute au moins une, puisqu'ils avaient rendez-vous et qu'il n'est pas venu, et le lendemain non plus il n'est pas venu dans ce bar où ils s'étaient rencontrés et parlé, là où ils s'étaient plu tout de suite, ça aussi ton frère l'a cru, et c'était peut-être vrai, on a envie de le croire parce que sinon ce monde est impossible, vraiment impossible, ils n'ont pas eu le temps de faire l'amour et puis, voilà, quand il allait rencontrer quelqu'un, elle ou lui, quand il allait sortir de l'oubli, ce que j'appelle oubli, lui qui traînait souvent dans la rue du côté de [...] [pp 46-47]
Aaaah l'écriture de Mauvignier! Je devrais bien revenir à ses romans, et pas seulement attendre son dernier paru, dont on dit grand bien.
RépondreSupprimerAutour de moi, certains n'imaginent pas un livre de 62 pages en une seule phrase. Pour moi, ça tient bien, c'est une vraie gifle.
SupprimerJe crois que "La maison vide" obtient un joli succès déjà, même si je ne le sens pas parmi les ultimes sélectionnés du Goncourt. Je ne l'ai pas lu.
Bonne journée Keisha.
J'ignorais ce fait divers. Mauvignier le tire de l'oubli et il est hélas encore bien d'actualité. Merci de l'avoir exhumé
RépondreSupprimerAvec plaisir et un sentiment d'indignation.
SupprimerOui, une phrase de 60 pages, ça se fait : Bernard-Marie Koltès l'a également démontré dans "La nuit juste avant les forêts"...
RépondreSupprimerUn écrivain de chez "Minuit", mort jeune, que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire.
SupprimerJe lis sur Wikipédia que la forme de cette pièce « crée une distance avec l'instance écrivante par le déplacement sans médiation vers un personnage [...] une seule longue phrase qui ne présente pas même de point final : la parole refuse de s'arrêter».
Le texte de Mauvignier quant à lui ne s'arrête pas non plus, il s'enfonce dans le néant dans une répétition glaçante, du grand art.
Bonne journée.
Un très grand, ce Laurent Mauvignier...
RépondreSupprimerIl figure parmi les auteurs contemporains qui m'intéressent le plus. Dans 'La quinzaine littéraire', en mars 2011, on trouve à propos de l'unique phrase du livre : "Une ponctuation discrète lui assure sa respiration. Quelques répétitions lui donnent son allure de lamento."
SupprimerBonjour Christian, je ne connais pas Mauvignier, ni ce fait divers, mais salue la démarche et, bien sûr ce texte d'une phrase, sûrement rythmée.
RépondreSupprimerSans points, le magnifique et court roman de Lázló Krasznahorkai, "Petits travaux pour un palais".
Bonne journée.
Je pars à la recherche, et note, le court roman de Krasznahorkai.
SupprimerL'absence de points permet de traduire "un vertigineux flot de pensée, entre fulgurances et lubies" (cf résumé Babelio).
Il est intéressant de s'échanger des informations sur les textes qui sortent des normes. Comment les trouverait-on, sinon. Merci donc Colette.
Krasznahorkai, Lazlo de son petit nom, c'est magnifique.
SupprimerVous appuyez l'avis de colette,merci.
SupprimerPour info, Paul Emond (assistant en philologie romane "de mon temps") avait utilisé ce procédé dans "La danse du fumiste".
RépondreSupprimerKraznahorkai a commencé ses récits en une seule phrase avec "Le dernier loup", je vous recommande aussi "Petits travaux pour un palais", génial.
Bon dimanche à vous.
Vous rejoignez ce qu'écrit Colo avec "Petits travaux pour un grand palais" et y ajoutez "Le dernier loup" dont je prends note. Merci!
SupprimerDe Paul Emont, je lis que "son esthétique, qui se vérifie aussi bien dans ses proses au dans ses pièces, est à la fois rigoureuse et joueuse, grave et ludique" (Objectif Plumes). Noté !
Bonne semaine.