23 avril 2013

Le soleil se lève aussi - Ernest Hemingway

Hemingway fait partie de la génération américaine de l'entre deux-guerres dite perdue, selon l'expression de Gertrude Stein. Il s'agit de ces écrivains émigrés à Paris dans les années 20, parmi lesquels Fitzgerald, Steinbeck et Dos Passos, qui connaissent le désenchantement d'une Amérique bouleversée par les mutations sociales et morales. Leur exil n'a rien de dramatique et, ainsi que le raconte Paris est une fête et le présent roman, à côté de leurs recherches littéraires, les divertissements représentent une grand part de leurs occupations.

Le soleil se lève aussi pour Jake Barnes, le narrateur, gravement blessé dans sa virilité durant la guerre. Il est épris de Brett, personnage féminin, volage et excentrique, qui l'aime comme un véritable ami. À la lecture, on ressent, sans que l'auteur le précise, et c'est son talent, que ce Jake diminué est un être neutre, sage, transparent, en roue libre et sans ardeur de vivre. Et parfois cynique, ne vivant plus que par le cœur et l'esprit[1]. Le récit se déroule d'abord à paris puis en grande partie en Espagne lors des fiestas de Pampelune, occasion pour Hemingway d'évoquer sa passion pour la tauromachie, qui offre non seulement de beaux passages sur le sujet mais aussi des explications, en pur connaisseur, des finesses de cette tradition culturelle controversée. La symbolique de la mise à mort du taureau trouve naturellement un écho dans le handicap du narrateur.
Fiesta de Pampelune © RAFA RIVAS/AFP/Getty Images

Le style de Hemingway est journalistique, fait de courtes phrases, sans grande musicalité mais créant un certain lyrisme du désenchantement qui convient à cette histoire où le temps semble immobile, où les personnages répètent inlassablement sorties festives alcoolisées et querelles. L'ami de Jake, Robert Cohn a une liaison passagère avec Brett et subit une véritable discrimination d'amis jaloux. Cohn est juif, certes, et il en souffre mais il n'a pas ce qu'on appelle le code, cher à Hemingway, cette façon de traverser la vie avec honneur et style, il est à contre courant de ces gens vivant selon un mode singulier. Le code c'est aussi la façon dont un torero s'en sort sans tricher face au taureau, avec risque et beauté. C'est aussi une façon de s'en sortir dignement quand on n'est plus tout à fait un homme. Cohn n'a pas le code qui lui permettrait de franchir ses insatisfactions, Jake bien.

Hemingway ne se doutait sans doute pas que la traduction française (Maurice Edgar Coindreau) de ses phrases courtes au passé simple serait une telle tragédie sonore: Ensuite, nous traversâmes une rivière et, après avoir passé par un petit village lugubre, nous recommençâmes à monter. Nous montâmes longtemps et franchîmes un autre col élevé que nous longeâmes, et la route redescendit à droite, et nous vîmes une nouvelle chaîne de montagnes au sud, [...]. Les œuvres d'Hemingway perdraient-elles à être traduites en version française ?

La préface de Jean Prévost s'interroge sur la démarche de l'auteur américain, ce battant viril et sportif: C'est une réduction et une mise au désespoir de lui-même qu'il semble avoir tentée là. Il n'y avait pas moyen autrement de donner à ce livre ce lyrisme secret et douloureux. [...]. Je crois qu'il s'est mis dans la peau de son malheureux eunuque par déguisement, par goût de se transposer, pour mieux se sentir lui-même à la fin de ce jeu.


Le roman, édité en 1926, est considéré comme le plus riche et le plus significatif de l'œuvre du mythique anti-intellectuel de la génération perdue américaine. 

[1] Le thème rappelle celui qu'a tenté Stendhal dans Armance.

Lu en format ePub sur Sony PRS-T1.

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