13 décembre 2018

Montaigne : des livres (1)

"Si je rencontre des difficultés en lisant, je ne m’en ronge pas les ongles : je les laisse où elles sont, après les avoir attaquées une fois ou deux. Si je restais planté là, je m’y perdrais et j’y perdrais mon temps ; car j’ai un esprit primesautier, et ce que je ne vois pas du premier coup, je le vois encore moins si je m’y obstine. Je ne fais rien si ce n’est gaiement, et l’obstination, la tension trop forte, étourdissent mon jugement, le rendent malheureux, le lassent enfin. Ma vue se brouille, et se perd. Il faut que je la porte ailleurs et que je l’y remette, par secousses."

Montaigne - "Les Essais II" (chapitre 10 - "Des livres")
(Traduction Guy de Pernon)

Plusieurs tentatives espacées, modifiant l'angle de vue, si c'est pour finir par comprendre... Il arrive pourtant que ce soit vain, malgré l'obstination. Pour n'en citer que deux, "Foi et savoir" (Jacques Derrida) me reste à peu près totalement obscur et une grande partie de "Malina" (Ingeborg Bachman) m'échappe.

J'utilise une version imprimée des Essais 
(Flammarion) en français de l'époque. Sous la main, une version moderne (l'extrait), pour élucider certaines tournures moins compréhensibles. La version originale présente l'intérêt d'indiquer les couches successives du texte (1580, 1588, 1595) (cf Antoine Compagnon).

14 commentaires:

  1. Ah oui l'édition avec les couches successives. Si je relis les Essais, je prendrai celle ci.
    Sinon, apprendre que Montaigne calait parfois sur ses lectures, et les mettait de côté (définitivement?), cela m'a réjouie et rassurée.
    Perso j'avoue mon gros flop avec Ulysse (Joyce) , pas illisible, mais je m'ennuie...

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    1. J'ai choisi quelques pages (réjouissantes) sur les livres, évidemment !
      J'ai quelques phrases sur lesquelles je bute en vieux "François", mais les couches du texte, c'est une information non négligeable.
      "Ulysse", c'est comme vous !

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  2. j'ai fait le choix d'une version légèrement traduite avec la traduction immédiate des citations, pour les diverses versions c'est vraiment affaire de spécialistes et cela ne m'intéresse pas vraiment, somme toute la pensée de Montaigne c'est sa dernière mouture non ?

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    1. La traduction des citations est (loin) en fin de volume dans le Flammarion, c'est bien, mais l'immédiate c'est mieux (surtout pour moi qui ai perdu mon latin).
      Les couches du texte : privilégions le maximum d'informations et si on les a, pourquoi s'en passer ?
      Sans me prétendre spécialiste (et certainement pas de Montaigne), je suis sensible à l'aspect dynamique d'un texte, aux modifications qu'un auteur lui apporte au cours du temps. Car pourquoi une pensée, Montaigne ou autre, serait-elle totalement figée? Peut-être aurait-il continué à amender son texte s'il avait vécu quelques siècles... Tout le monde évolue et pour certains passages, je trouve édifiant (amusant même) de noter où un penseur à nuancé, complété, enrichi, tempéré son propos... et où il ne l'a pas fait. On ne voit toutefois pas si, parmi les phrases datées après, il s'agit d'ajout ou de versions corrigées.

      Dans "Vie de Rancé" (GF) de Chateaubriand, sont indiqués en notes tous les changements, parfois larges, entre les deux éditions, citant aussi la première version. Le vicomte écrit en avertissement de la seconde édition : "J'ai suivi dans cette édition tous les changements qui m'ont été indiqués. On ne peut me faire plus de plaisir que de m'avertir quand je me suis trompé: on a toujours plus de lumière et plus de savoir que moi." Il ne s'agit pas du même genre de travail que Montaigne, évidemment.

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  3. Pour les citations, oui, on perd vite son latin, alors quant au grec! Je veux donc une version avec traduction sur la même page!

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  4. Derrida… Trois essais dans ma bibliothèque témoignent d'une curiosité universitaire à toute épreuve, je n'oserais les reprendre. Et aussi le numéro de L'Arc sur Derrida par quoi je devrais certainement commencer si je le faisais…
    Bon souvenir de "Malina" que j'ai cherché pour me rafraîchir la mémoire, mais mon exemplaire a disparu.
    (Je suis retournée à Montaigne par "Les Essais" en français moderne de la collection Quarto et j'ai cherché le passage que vous citez. Le texte d'André Lanly conclut autrement : "Il faut que je le retire et que je l'y ramène à plusieurs reprises, …" "Le" pour "jugement" et non "la" pour vue, il y a déjà matière à interprétation !)

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    1. Fine remarque ! C'est un dilemme, dans les diverses versions originales en vieux français, je note déjà une différence : « je le retire » dans le texte imprimé de Flammarion, « je la retire » – portant sur « la veuë » – dans les deux versions numériques consultées. Pour la traduction, j'ai vérifié que Guy de Pernon a bien choisi « la » contrairement à André Lanly.

      Derrida: « Foi et savoir » est suivi par un entretien avec Michel Wieviorka ("Le Siècle et le Pardon"), plus accessible mais cela reste très pointu. Je l'ai laissé de côté. Je crois que le numéro de l'Arc me sera d'un meilleure utilité pour revenir sur Derrida, merci de le signaler.
      Quant à Malina, l'obstination m'avait quand même permis un compte-rendu acceptable, je crois, sur marque-pages (voir index auteurs) :-)

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    2. À propos du passage de Montaigne, il faut encore signaler que la phrase "Ma veuë s'y confond et s'y dissipe" a été insérée en 1595 (troisième couche) dans un paragraphe qui semble de 1588.

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    3. Merci pour ces précisions. Toutes ces couches de textes et le choix de la meilleure transposition, quelle matière et encore pour longtemps !

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  5. Je n'ai jamais essayé de lire Derrida en revanche, j'aime beaucoup Montaigne mais je n'ai lu qu'une partie du livre III, le contexte est tellement complexe que je le lis lentement... Et en plus, je ne lis que dans la version modernisée...

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    1. Rassurez-vous Maggie, je lis très lentement et quelques pages (que dis-je, quelques lignes) à la fois. J'aime m'attarder et réfléchir sur des passages. J'avais aussi lu le chapitre 9, sur les armes, du livre II. On y trouve des idées modernes, même sur un tel domaine qui a fort évolué.

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  6. Un point commun avec Montaigne. De quoi rassurer les lecteurs.

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    1. Je trouve rassurant de ne pas être le seul à trébucher sur certains livres.

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