15 juillet 2019

Épreuve de la création

Pour Giacometti, l'échec était la condition de sa création et sa matière même.
Pour lui, l'échec se méritait, il se gagnait de haute lutte, et ce n'était pas de la petite bière. Il fallait déployer une énergie considérable pour en supporter l'épreuve. Réussir, en comparaison, était au fond bien plus aisé. Aussi aisé que conclure. La bêtise consiste à vouloir conclure, avait écrit Flaubert. L'échec délivrait de cette obsession idiote de conclure, cette passion contemporaine. L'échec conférait cette liberté.

Lydie Salvayre - "Marcher jusqu'au soir"

9 commentaires:

  1. Paradoxal : cela mérite réflexion.

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    1. Sans doute. J'ai un moment pratiqué l'aquarelle et le prof qui l'enseignait disait quelque chose de semblable, même quand c'était "bien", ne pas considérer que c'était un aboutissement. Nous étions des élèves, non des artistes au sens d'un créateur comme Giacometti, mais je crois que l'idée était la même : une quête toujours recommencée.

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    2. J'ai remarqué chez les vrais artistes cette insatisfaction perpétuelle, ce n'est jamais "ÇA". Salvayre explique que V. Woolf était sensible à cela, comme Giacometti, elle qui, devant le poids des mots qui'elle ne hissait pas au niveau de son rêve, "perdait pied" et "s'accusait de tout".

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  2. Je suis persuadée de cela. Un jour lisant le livre de Viviane Forester sur Van Gogh, j'ai dit un ami psychiatre: "Quelle solitude. Dire qu'il n'a connu le succès qu'à sa mort!" il m'a répondu: Van Gogh de toues façons n'aurait JAMAIS été content de ce qu'il faisait; c'est à ce prix, à cet échec dont il se plaint, à cette solitude qu'il est devenu Van Gogh"
    C'est triste; pourtant si des artistes contemporains comme Jeff Koons se vendent à des prix d'or, jamais ils ne dureront, ne passeront à la postérité que sous le titre d'imposteur.
    Quand on est satisfait, on s'assoit dans un fauteuil et on contemple ce qui est fini (alors que ce n'est jamais fini!) quand on est insatisfait, on cherche à progresser, le but s'éloigne et on travaille!

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    1. Bonjour Anne, cela me fait plaisir de lire votre avis. Psychiatres et psychologues sont certainement bien au fait de ces particularités d'artistes et celui que vous citez a les mots justes à propos de Van Gogh.
      "Ce n'est jamais fini !" : c'est vrai, quand il s'agit d'exprimer l'indicible comme le tentent les grands créateurs au risque de l'échec répété. Mais c'est aussi vrai pour parfaire une technique artistique ou artisanale, à l'aiguille, au pinceau ou de sa plume.

      Cordiales salutations au Périgord ensoleillé.

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  3. Très intéressante réflexion: de fait elle s'applique à tout, à une lettre qu'on écrit, un billet de blog, un plat de cuisine. Je suis un peu triviale exprès car il y a toujours place pour l'amélioration, si ce n'est pas cette année, l'an prochain peut-être.
    L'échec par contre me semble très subjectif: qui le définit? L'artiste? La valeur économique? La critique?

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    1. L'insatisfaction peut s'appliquer à tout ce qu'on réalise, ce n'est jamais parfait.
      Mais ce qu'explique Lydie Salvayre avec Giacometti et certains créateurs, c'est l'impossibilité de jamais parvenir à exprimer totalement dans l'œuvre ce que, en tant qu'artistes, ils voient vraiment, ce qu'ils sentent. C'est cela qu'ils éprouvent comme un échec.
      Dans l'article sur le livre, j'ai inscrit sous la photo de "L'homme qui marche" : "Pour Giacometti, faire œuvre c'était faire l'expérience de la limite de l'œuvre, de la limite de l'homme créant l'œuvre."
      Je cite aussi le cas de V. Woolf "toujours insatisfaite de l'œuvre à cause de l'impossible adéquation avec le rêve qui l'avait enfantée".
      C'est en cela qu'il y a échec, lequel est, pour répondre à votre interrogation, le sentiment intime de l'artiste et cela n'a rien à voir avec la critique ni le succès commercial (votre question est intéressante mais ce n'est pas l'objet ici).
      Je crois que Anne l'a compris comme cela en citant le cas Van Gogh.

      Lydie Salvayre «pousse le curseur très loin» avec ses mots bien à elle, c'est en cela, je trouve, que l'extrait est marquant.

      Bonne soirée Colette, merci d'avoir donné votre avis, à bientôt.

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    2. Merci beaucoup. En relisant attentivement l'extrait et puis vos explications, je mesure maintenant toute la portée, le vertige de cet échec.
      Bonne soirée.

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    3. C'est chouette Colette d'être revenue et de laisser un mot.
      Bonne soirée, nous avons le beau temps de retour ici depuis quelques heures.

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