18 janvier 2020

Le génie en dessin


Un œil sur la couverture et quelques pages feuilletées suffisent à saisir une beauté discrète toute en teintes passées, ocre et bleu gris, rose chamois et gris rouillé, tons pastel relevés d'orange éteint et de sanguine. Le plaisir des yeux n'est pas gâté par le toucher : feuilles satinées, souples mais robustes, et la vraie reliure autorise l'ouverture à plat sans rupture, bref un beau livre réussi (Feuilleter).

Le contenu [traduit de l'anglais] séduit par sa concision, dirigé par un expert en la personne de Martin Clayton, conservateur de la collection royale britannique, spécialiste de Léonard de Vinci. Les reproductions des dessins, esquisses et peintures sont d'une qualité remarquable : chaque document est accompagné d'un numéro (RCIN) qui permet de l'examiner en haute définition sur le site du Royal Collection Trust, dont tous les dessins sont issus. Leur état de conservation  est étonnant (clic).

Le commentaire des livres d'art fait souvent la part belle à l'interprétation des œuvres. Ici, le comment l'emporte sur le pourquoi, l'accent est mis sur la technique, les matériaux, le travail préparatoire d'œuvres abouties. C'est d'autant plus intéressant que les dessins remontent aux quinzième et seizième siècles : il ne s'agissait pas de sortir son bloc et son crayon, bien que progressivement avec l'invention de l'imprimerie, le papier devînt un support courant. Plusieurs croquis antérieurs à 1490-1500 sont réalisés à la pointe métallique sur un support préparé avec un enduit. Avec cet outil, l'épaisseur du trait ne varie pas avec la pression et surtout la ligne ne peut s'effacer : exigeant (voir un prochain extrait).

Clayton démystifie l'écriture bizarre qui accompagne les dessins, il ne s'agit pas d'un code mystérieux comme on l'a suggéré mais simplement d'une écriture spéculaire : Léonard de Vinci était gaucher, il écrivait de droite à gauche, en miroir, afin que sa main ne passe pas sur l'encre humide. Il y fallait quand même une faculté étonnante, à moins que ce ne fût naturel en tant que gaucher. Sur les documents destinés à d'autres, en cartographie par exemple, les annotations vont de gauche à droite. Les deux illustrations suivantes montrent à droite l'image inversée [j'ai utilisé Photoshop] d'un fragment de document où apparaît l'écriture lisible. Le chiffre 42 sous le cheval est de la main du disciple Francesco Melzi, non spéculaire donc, pour classer les documents que lui a légués Léonard en 1519. 



© Royal Collection Trust

Six pages aérées retracent la vie du Florentin, tout au moins ce que l'on en sait. Le côté touche-à-tout de l'homme d'esprit est mis en avant, lui qui fut un si grand peintre ne réalisa que peu de tableaux. Sa carrière est marquée par la volonté de comprendre l'infinie variété de l'expérience humaine : "Peu de dessins conservés étaient destinés à être montrés. Il s'agit plutôt d'un laboratoire personnel – car Léonard se sert du dessin pour penser sur le papier, imaginer de nouvelles compositions, enregistrer des impressions fugitives, s'efforcer de relever le moindre détail, tester sa compréhension d'un phénomène, explorer toutes les variantes possibles d'uns scénario. Nous verrons clairement que les dessins de Léonard nous permettent de rencontrer l'un des plus grands esprits de l'histoire de l'humanité, avec une immédiateté qu'aucun autre médium ne peut offrir."

Tout est dit, chaque dessin est accompagné d'un texte court et précis, agréable à parcourir. Les projets artistiques de Léonard s'étendant sur des décennies, l'évolution scientifique étant rapide, il était malaisé d'établir une présentation entièrement chronologique et le choix s'est porté sur un regroupement par lieu de vie (Florence, Milan, Rome, Val de Loire) et par thème : art, paysage, cartographie, botanique, anatomie, etc.. 
L'ouvrage est introduit par le prince de Galles himself : "... he used drawing to record, to explore and to think...".

J'ai pratiqué la peinture en amateur (à l'aquarelle surtout) à plusieurs périodes de ma vie et si, à l'issue des ateliers, j'ai pu regretter les résultats, c'était davantage dû à des lacunes du dessin qu'au travail des couleurs au pinceau. Nombre d'élèves et artistes en herbe décalquent leur dessin avant de peindre, ce que j'ai toujours considéré comme insatisfaisant et m'a conduit à laisser ce passe-temps artistique malgré des dispositions favorables. Je n'en admire que mieux les bons dessinateurs et ce livre des Éditions Flammarion me comble : merci à elles et à Babelio.

Addendum (22/01/2020). 
L'un des aspects instructifs de ce livre est de nous montrer par le dessin que Léonard de Vinci était un génie, mais les connaissances de la Renaissance n'en sont qu'aux balbutiements. On sourit à ces coupes de crâne où Léonard situe trois espèces de ventricules, sièges de l'esprit imaginatif, du raisonnement et de la mémoire. Ou cette volonté de situer le senso commune à mi-hauteur du crâne et au tiers antérieur. Ou le dessin anatomique de canaux qui partent du crâne au pénis. Un inventeur, un créatif, un surdoué mais dans les limites de son siècle. 

10 commentaires:

  1. un livre qui doit être magnifique, il faut que je résiste à la tentation j'ai déjà trois livres sur L de V alors ....la plupart des dessins je les trouve dans le livre de Daniel Arasse qui est vraiment une somme et je ne m'en lasse pas seul bémol il faut lire sur une table et je déteste ça

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    1. Toujours pas acheté le livre d'Arasse. En effet, je suis comme vous, pas question de lire couché, au lit ou d'une seule main et donc choisir les moments où ça se prête.
      Bon week-end Dominique.

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  2. Beau livre. Quel génie ! J'ai eu l'occasion d'admirer à Martigny des manuscrits, des croquis, des dessins et des reconstitutions de maquettes au Vieil Arsenal pendant l'exposition sur Léonard de Vinci, L'inventeur.
    (J'aurais tant aimé quelques dispositions favorables pour le dessin.)

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    1. Une très belle exposition, je pense qu'à Martigny ont été exposés des dessins qui figurent dans ce livre. Oui, quel homme d'esprit, toujours en quête !

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  3. De tous les hommes de l'Histoire Leonardo da Vinci est celui que j'admire, vénère le plus. Son inlassable curiosité, basée sur la nature, et le corps, ses inventions techniques, tout me fascine chez cet homme.
    Je vais feuilleter avant de le commander, grand merci et bon dimanche.

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    1. Je remarque en continuant la lecture que Léonard était parfois dans l'erreur, ainsi ses dessins pour évaluer le rayon terrestre en fonction de l'élévation du soleil en plusieurs points, soleil qu'il supposait proche de la terre (en réalité on peut supposer les rayons parallèles tant le soleil est loin). Mais il cherchait, s'intéressait à tout, essayait de comprendre – "inlassable curiosité" dites-vous – et pour ça, il mérite notre admiration.
      Beau dimanche à vous.

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  4. J'ai eu l'occasion de visiter (deux trois fois) une expo à Chambord en 2019 avec bien des illustrations...
    Suis je normale (^_^), je ne vois pas ce qu'il y a de difficile d'écrire à l'envers?

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    1. J'ai entendu parler de cette bonne exposition à Chambord, je me contenterai d'images sur internet.
      Si vous êtes gauchère, l'écriture en miroir est naturelle(?), lis-je sur wikipédia. J'y lis aussi que "le professeur de Rougemont, chirurgien grenoblois, était capable de dessiner sur un tableau noir des figures d'une symétrie parfaite en utilisant une craie dans chaque main" !
      Dès lors, peut-être que de Vinci a moins de mérite que je ne l'imaginais (et je tempère ma phrase admirative du billet).
      Pour moi, droitier, je trouve qu'écrire en miroir est difficile, je dois me concentrer : mes pauvres hémisphères...

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    2. Je suis droitière, pas vraiment ambidextre, mais habile (et plus costaud) de la main gauche.
      Je repense à une autre expo à Romorantin (pas loin de Chambord) où le génie de L de V était plutôt évoqué comme celui d'un inventeur, architecte, etc. En fait i l a peu peint!

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    3. Il est certain qu'à la Renaissance, on n'allait pas à l'école pour apprendre à écrire de gauche à droite.
      L de V était bon en tout finalement. Assez d'accord avec l'idée d'un inventeur génial sans cesse en quête de savoir et de créativité. Comme je l'écris en addendum du billet, le génie est forcément limité par un temps où le savoir balbutie.

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