Elle vit à Rouen, s'appelle Vigdis Adelaïs et est couvée dans une famille prospère et cultivée, d'ascendance normande par le père et de mère catholique, apparentée aux comtes de Flandre. L'enfant blonde s'éprend d'un garçon juif, David, fils d'un rabbin de Narbonne, qui étudie la Torah dans la yeshiva de Rouen. Nous sommes au XIè siècle, les chrétiens se montrent de plus en plus intolérants envers les juifs malgré les taxes que ceux-ci paient pour pouvoir exercer leur culte. La relation est très mal vue par les siens et Vigdis s'enfuit avec l'amoureux jusque Narbonne. Le sort de la jeune femme sera désormais marqué par la fuite : les soldats lancés à sa recherche par ses parents puis le danger catholique, car elle est convertie au judaïsme et désormais surnommée Hamoutal.
"Je voudrais pouvoir la mettre en garde contre ce qui va lui arriver.
Passe ton chemin jeune fille, choisis un autre homme,
échappe à ce sort, fuis ce qui t'attire."
Leur trace retrouvée à Narbonne, le couple doit se réfugier à Monieux, non loin du mont Ventoux, où existe alors une communauté juive. Hamoutal y met au monde trois enfants. Mais le pape Urbain II veut ressouder le monde chrétien et appelle à la guerre sainte. Une armée de Croisades en route vers Jérusalem campe à proximité de Monieux ; l'arrière-garde composée de toutes sortes d'aventuriers se livre à un pogrom ; David est assassiné dans la synagogue du village, deux enfants d'Hamoutal sont emmenés par les soldats. Elle doit partir encore, retrouver peut-être ses enfants à Jérusalem. Avec elle, un bébé enveloppé dans un châle et une recommandation écrite du rabbin Joshua Obadiah, qui a échappé au massacre. Les pérégrinations de la prosélyte la conduiront au Caire pour un autre mariage, puis à nouveau en France où s'achève son destin.
Voilà pour le roman. Stefan Hertmans possède aujourd'hui une maison à Monieux. Il a voulu imaginer l'histoire d'Hamoutal au départ d'un article scientifique de Norman Golb, philologue de renom spécialisé dans les documents en hébreu. L'un de ceux-ci, daté de 1096, trouvé dans la genizah de Fustat (Le Caire), fut rédigé par le rabbin Joshua de Monieux, justement. La lettre invite à fournir son aide à celle qui la détient, cette prosélyte veuve avec un enfant de vingt mois dont le mari a été massacré et dont les enfants Yaakov et Justa ont été fait prisonniers. Cette femme "a renoncé à une grande prospérité et abandonné un pays lointain, [...] venue ici au nom de Iahvé [...]" dit le texte en hébreu (le contenu partiel du manuscrit est proposé dans le livre). À la fin du livre, Stefan Hertmans raconte comment il a découvert, en se promenant autour du village, les vestiges de la sinistre synagogue.
Pour écrire le récit d'Hamoutal, Hertmans est parti sur ses traces, a pu mesurer ses trajets exténuants. Il livre l'impression d'être parfois tout proche de la jeune femme, malgré la distance temporelle, les mutations paysagères, les autres moyens de déplacement. Tout cela constitue l'attrait du livre, davantage, selon moi, que l'histoire dramatique relatée de manière purement descriptive qui tient l'héroïne à distance (ne pas la faire penser ni parler reste une option prudente très défendable). On vibrera ainsi avec l'écrivain lorsqu'il consulte à Cambridge le fameux fragment en hébreu retrouvé dans la genizah du Caire: "Les lettres ont la couleur de sang de bœuf, le manuscrit va du jaune pâle au blanc grisâtre, avec ici et là des teintes plus foncées. Je cherche la plus petite ouverture dans le dossier fermé par des coutures, j'y glisse l'extrémité de mon doigt, touche un instant le bord du document qu'Hamoutal a porté contre son corps. La salle est si silencieuse que je m'entends respirer." L'auteur – et le lecteur avec lui – a l'impression de toucher l'histoire.
Ainsi que Hertmans l'indique à Bibliobs, "Le cœur converti" raconte comment l'histoire d'une femme de son village provençal est devenue "une histoire sur l'Europe, une histoire douloureuse aisément reconnaissable".
Stefan Hertmans, relativement peu traduit en français, sinon depuis "Guerre et térébenthine", écrit en langue flamande depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, des poésies, des essais et quelques romans. J'avais chroniqué "Comme au premier jour", un texte nettement plus hermétique que ce roman historique.
Stefan Hertmans, relativement peu traduit en français, sinon depuis "Guerre et térébenthine", écrit en langue flamande depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, des poésies, des essais et quelques romans. J'avais chroniqué "Comme au premier jour", un texte nettement plus hermétique que ce roman historique.
Ayant l'intention de le lire, je suis passée du titre à la conclusion - je reviendrai à votre billet plus tard. Bonne journée.
RépondreSupprimerJ'essaie de ne pas en dire trop, mais il faut bien que le billet dise quelques chose... Bonne lecture, à bientôt, Tania.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé, surtout les recherches de l'auteur sur les traces de son héroïne, et j'espère lire guerre et Thérébenthine
RépondreSupprimerJe n'ai pas encore lu celui-ci, pas eu le temps malgré emprunt. Comme vous, j'ai préféré suivre Hertmans "en touriste" que la pauvre Hamoutal.
Supprimerun auteur que j'ai beaucoup apprécié et dont j'espère on verra de nouvelles traductions de ses romans
RépondreSupprimerBonne semaine Dominique.
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