10 décembre 2020

L'importance des extrêmes

Confrontés à une nouvelle opinion, nous nous tournons vers les sources et les personnes qui constituent notre propre entourage de référence : est-ce une opinion acceptable ? Peut-elle être partagée ? Ou doit-elle être rejetée car fausse ou trompeuse ? Pour répondre, nous nous adressons aux autres parce que cela fait partie de notre nature d'animaux sociaux. Et parce que, dans le fond, c'est la chose la plus rationnelle à faire. Sur la majorité des questions, nous ne possédons pas d'informations de première main, nous devons nous fier à ce qui nous semble être l'opinion dominante. Nous n'avons pas vérifié personnellement que la terre tourne autour du soleil, que les nazis ont exterminé six millions de juifs pendant la seconde Guerre mondiale, ou que les vaccins ont éradiqué les pires maladies de l'histoire de l'humanité, mais nous vivons dans des sociétés dans lesquelles, au moins jusqu'à des temps récents, ces faits étaient largement partagés. 

Le seuil de résistance face à une nouvelle information ou à une nouvelle opinion varie d'une personne à une autre. Certains l'acceptent plus facilement parce que cela coïncide avec les convictions qu'ils nourrissaient déjà, et d'autres ont un seuil de résistance plus élevé. Mais, ce qui est sûr c'est que plus le nombre de personnes qui adoptent une nouvelle idée augmente (que les vaccins provoquent l'autisme ou que les réfugiés sont des terroristes, par exemple) et plus le seuil de résistance de celui qui est le plus difficile à convaincre s'abaisse. Une fois atteinte une certaine masse critique, il peut arriver que, de manière relativement indolore, une communauté entière adopte une opinion ou un comportement qui initialement n'étaient partagés que par une minorité très resserrée. Cela s'est produit plusieurs fois dans l'histoire du vingtième siècle ; et cela se voit aujourd'hui avec Internet et les réseaux sociaux qui semblent faits exprès pour accélérer et multiplier les cascades cognitives.

Giuliano da Empoli - "Les ingénieurs du chaos" (JC Lattès)


C'est la logique que les chercheurs en sciences sociales appellent la théorie du ruissellement. La minorité intolérante est fondamentale pour les politiciens populistes

8 commentaires:

  1. Plus cela se confirme, plus je souhaite que la Toile devienne un espace régi par des règles démocratiques. Il faudra probablement mettre fin à l'anonymat total qui encourage les diffuseurs de haine et de mensonges. Et renforcer la qualité de l'enseignement obligatoire.

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    1. C'est un défi pour les démocraties, vous l'écriviez hier, j'aimerais vous répondre que vos propositions sont des solutions.

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    2. Ma réponse précédente est un peu trop laconique. Entièrement d'accord avec le renforcement qualitatif de l'enseignement. Au niveau de l'internet, il y a deux modèles, le chinois contrôlé d'en haut et le libre.
      Instaurer des règles n'implique-t-il pas de glisser vers le premier ?

      Si d'autres articles ou essais me tombent entre les mains qui tentent de répondre à ces questions, je serais heureux d'en partager les comptes rendus afin de présenter un tableau plus constructif.

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    3. Je ne pensais pas au Big Brother chinois, mais à une application du droit étendue à l'espace numérique (pas simple, il suffit de penser au développement du Darknet). Merci d'avoir précisé votre réponse & bonne journée.

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  2. Merci pour cet extrait.
    La lutte contre, par exemple, les fake-news est rude, voire impossible. Même si l'anonymat était aboli, y a -t-il des lois qui empêchent de dire que, par exemple encore, la fonte des glaciers est normale, qu'il n'y a rien de préoccupant dans le réchauffement climatique ?

    Tant de questions qui ne seront certes pas résolues par notre génération des plus de 65 ans !

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    1. Je suis fasciné et effrayé par les phénomènes de masse.
      De là sans doute mon intérêt marqué pour des lectures telles que René Girard et le brutal apaisement de la colère générale à l'exécution de la victime émissaire, la contamination de la poursuite à mort d'un quidam où chacun semble trouver sa bonne raison de traquer l'homme (Scepanovic, "La bouche pleine de terre"), les effets de ruissellement qui soudain se cristallisent en une majorité, les effets de mode, etc.
      On y assiste à un phénomène semblable à ce qu'on observe en chimie/physique lorsque qu'un gaz/liquide change d'état sous une petite impulsion, une goutte de ceci, un petit choc, une infime modification. J'ai lu des choses sérieuses au sujet de ces analogies entre la science physique et la sociologie.
      [Nous connaissons tous l'expérience de l'eau de chou rouge qui devient bleue si l'on y met une pincée de bicarbonate de soude :-)]
      Dans le présent livre, l'auteur da Empoli remarque que les poussées centrifuges parmi les collectifs humains sont semblables à celles observées dans les gaz qui mènent à l'instabilité.

      Les phénomènes de masse ont toujours existé mais ils sont fortement intensifiés par les réseaux informatiques et les démagogues peuvent compter sur des experts physiciens et des "spin doctors".

      Comme vous dites, à notre âge, ce n'est pas nous qui avons les solutions.
      Bonne fin de semaine Colette.

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  3. De belles réflexions et des sujets de préoccupation intéressants et importants.
    je rejoins Tania sur la dimension démocratique, la réponse à mon sens n'est ni dans la Chine ni dans le libre. A qui profite l'absence supposée de contrôle ou de règles ? La démocratie ce sont des valeurs qui passent par des règles et des usages.
    Pas par le n'importe quoi, ouvert à tous les vents sous prétexte de liberté. L'espace étant collectif il ne peut selon moi se priver de règles.

    0n est donc sur une visée d'éducation, de niveau d'enseignement et de responsabilisation individuelle. Chacun doit détenir une des clés qui permette à l'ensemble de fonctionner collectivement en se préservant du chaos. Il est temps de remettre en avant non pas la confusion mais la clarté notamment par les termes que l'on utilise. Le langage est un instrument d'éducation.
    A bientôt !

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    1. Je suis évidemment d'avis qu'il faut des règles sur l'internet, sur les réseaux sociaux.
      L'ennui c'est qu'il reste à inventer une réglementation efficace, et donc nécessairement une police.

      Merci, cher K, d'insister sur l'importance du langage, donc la lumière et la bonne communication.

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