Le couple Penderton n'est guère épanoui car le capitaine Weldon est impuissant et homosexuel refoulé ; il sait que sa femme Leonore, bonne cavalière, est la maîtresse du commandant Morris Langdon, le mari du couple voisin. L'épouse de Morris, Alison, a sombré dans la dépression après la mort prématurée d'une enfant ; elle est cardiaque et fragile. Ce quatuor instable va être perturbé par un élément extérieur, le soldat Williams, ténébreux, détourné des femmes par son père et proche des chevaux, appelé pour un travail chez les Penderton. Ayant aperçu Leonore nue par la fenêtre, il se glisse à plusieurs reprises de nuit dans sa chambre pour la contempler dans son sommeil. Ajoutons à ces personnages peu stéréotypés, le serviteur des Langdon, un Philippin efféminé qui s'occupe d'Alison avec un dévouement démesuré.
Cela paraît si simple, si facile d'écrire à la manière de Carson McCullers : tout est narré de façon harmonieuse, avec justesse, en phrases limpides et courtes, l'intérêt est maintenu par de fréquents changements de focalisation. Les descriptions sont brèves, précises et expressives. Une façon classique à la "perfection d'épure", pour reprendre les mots de Michel Gresset.
Je conseille de ne venir à la préface de Jean Blanzat qu'après lecture du roman car elle déflore la trame. Le comportement peu prévisible des personnages contribue à la qualité de la découverte.
On peut regretter que le texte ait été mal reçu à l'époque de sa parution. Il est certain que les multiples personnages névrosés peuvent heurter et que la sexualité non explicite mais très présente dans ses aspects freudiens, avec l'homosexualité et ce qu'on a qualifié à tort de goût du morbide et du bizarre, aient pu déplaire au plan moral, d'autant que l'auteur était une femme. Il apparaît toutefois que le livre a autant de qualités littéraires que "Le cœur est un chasseur solitaire" (1940), premier roman très applaudi. Tennessee Williams contribua dans une préface en 1950 à le réévaluer : "Les critiques dotés de quelque discernement auraient dû voir que ce récit était le contraire d'une déception puisqu'il témoignait d'une qualité encore inaperçue dans l'éventail des dons de Carson McCullers : le triomphe de la maîtrise sur un lyrisme adolescent". Les essayistes ultérieurs ne manqueront en effet pas de contredire les premières impressions de la presse. [voir biographie par Josyane Savigneau]
Il serait erroné d'englober Carson Mc Cullers (tout comme Faulkner) dans ce qui s'est appelé l'école gothique. Elle s'en est défendue, niant "toute surenchère", en indiquant que l'origine de l'impression produite par une nouvelle de Faulkner (ou ses propres textes) est d'un autre ordre – un réalisme étrange et violent – que les ressources romanesques ou surnaturelles du roman dit gothique. La rigueur de cette analyse, qui témoigne de la culture littéraire de la jeune femme, amène Josyane Savigneau à souligner une étonnante partition "entre une maturité intellectuelle indiscutable et l'ensemble des pulsions adolescentes qui la meuvent dans le domaine affectif".
C'est un de mes écrivains phare. Je l'ai relue à plusieurs reprises, surtout Frankie Addams et L'horloge sans aiguilles. Son écriture, ses personnages me fascinent ainsi que sa vision globale des êtres humains dont elle semble connaître toutes les failles.
RépondreSupprimerBon week end.
Vous avez vous aussi succombé au charme de cette petite musique aux accents déchirants... Je projette de lire "Frankie Addams" après avoir poursuivi avec le recueil "La ballade du café triste", qui m'a plu tout autant.
SupprimerJe n'ai vu que le film, et quels acteurs!!!
RépondreSupprimerTaylor-Brando : mythique. Pas vu. Je n'imagine pas bien E Taylor en Leonore, pardon l'inverse, toujours difficile pour moi le film quand je colle à un livre
Supprimer:)
Cette romancière est chère à mon coeur, j'ai lu tous ses romans. Jacques Tournier, son traducteur, a écrit une bonne biographie accompagnée d'extraits et de photos, sous le titre "Carson McCullers, qui êtes-vous ?" (La Manufacture, 1986)
RépondreSupprimerBonsoir Tania, désolé pour ces ennuis de connexion, en tout cas j'ai bien reçu les trois messages.
SupprimerJacques Tournier est le préfacier de l'excellent recueil "La ballade du café triste" (la longue nouvelle éponyme est belle) et j'ai emprunté la biographie de Josyane Savigneau (1995, bonnes photos aussi). J'essaierai de trouver celle que vous citez à La Manufacture, merci.
Je ne connaissais pas du tout cette écrivaine américaine, elle écrit juste, elle est attachante.
Merci cher Christw de me rappeler par ce billet qu'elle fait partie de mes prochaines pistes de lecture - inédites car je n'ai jamais rien lu d'elle.
RépondreSupprimerJ'espère la piste fructueuse. J'ai réservé "Frankie Addams" en bibliothèque, considéré comme son roman le plus abouti.
SupprimerHier, en farfouillant chez un bouquiniste, je suis tombée sur son "Illuminations et nuits blanches". Si je n'avais pas lu votre article, je ne l'aurais peut-être pas remarqué, mais là, je l'ai pris... :-)
RépondreSupprimerJe crois qu'il s'agit de son autobiographie inachevée.
SupprimerN'hésitez pas à lire un de ses romans pour vous faire une idée de sa production.
Oui, c'est ça + deux nouvelles
SupprimerBonne lecture !
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