31 mars 2021

À la fin

J'ai vécu comme une petite amitié le carnet des derniers mois de cet homme entré en maison de retraite. Tous ces jours sont dans le ton de l'épigraphe de Lucrèce : "...l'âme sereine, cède la place [...]. N'est-ce point un état plus paisible que le sommeil ?" ("De Rerum Natura"). Il y a de la douceur à suivre les notes d'un être vieillissant en accord avec son âge et la nature, ses difficultés physiques grandissant, lourd de ses peines, joies et secrets, sereinement conscient que sa fin approche. L'écrivain suisse Adrien Gygax propose un journal sobre et bref, positif, sans excès de sentimentalisme, et il se fera peut-être que, si vous le lisez, vous éprouverez une larme. 

Et puis boum, le romancier trébuche au dernier moment. Le piège est dans le titre, mais on a oublié qu'il intriguait. Voilà notre brave vieux monsieur qui meurt dans l'éclat d'une ultime joie, celle de voir sa vie se terminer : "Je m'en réjouis comme j'ai dû me réjouir de voir ma vie commencer". Entendrons-nous jamais un mort nous raconter l'allégresse de son dernier souffle ? À moins de demander rémission de douleurs – et encore on parlera de soulagement –, d'être mystique ou sous l'effet de substances psychotropes, je comprends mal qu'un individu ordinaire et lucide – c'est le cas de notre personnage – s'en aille dans de telles dispositions. 

Apaisé, dans l'acceptation, mais joyeux ? 


"La jeunesse a quelque chose de divin. Cette jeune femme a Dieu en elle. Dans l'inclinaison de son visage, dans cette tresse qu'elle fait descendre de son front jusqu'à sa nuque, dans ces émotions qu'elle ne cherche pas à dissimuler, dans sa voix étrangement grave, elle a Dieu. Comprenez alors que je tienne encore à la vie ; cette apparition quotidienne est le plus sûr moyen de rencontrer Dieu un jour, la voie du trépas n'accordant pas les mêmes garanties, me semble-t-il." (Adrien Gygax - "Se réjouir de la fin", p 46)

6 commentaires:

  1. Adrien Gygax est peut-être trop jeune pour se lancer dans ce genre d'aventure...
    "Je veux mourir malheureux pour ne rien regretter" disait Daniel Balavoine (qui n'était pas vieux non plus).

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    1. On redécouvre tout le temps Balavoine... Merci.
      Je me suis interrogé sur l'âge de l'auteur avant de lire. Malgré tout, j'ai été conquis par son regard positif sur la (fin de) vie. Mais la chute est forcée.

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  2. "Apaisé, dans l'acceptation, mais joyeux ?" Je vous rejoins dans cette question et la 4e de couverture m'a conduite à la même interrogation en découvrant l'âge de l'auteur.

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    1. Curieux sujet pour un jeune écrivain en tout cas.
      Bonne soirée, Tania.

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  3. Et si on imaginait qu'il parlait de son père, mort vieux après une belle vie et se réjouissant de partir sans (trop) souffrir?
    J'aime moi aussi lire des récits de fins de vie, de longues vies aussi.
    Merci et bon week-end Pascal.

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    1. J'ai aussi pensé que l'auteur s'était mis à la place d'un proche.
      Malgré tout ce qu'on peut écrire, à la fin d'une belle vie, quand les derniers jours sont plutôt biens (le cas du roman), tout s'arrête pour de bon.

      Bonnes fêtes de Pâques, Colette.

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