24 mai 2021

Quand la lumière décline

 

Traduit de l'allemand par Pierre Deshusses.

Du patriarche Wilhelm avec ses idéaux socialistes au petit-fils Alexander atteint d'un cancer incurable et Markus l'ado que l'histoire ennuie, les feux s'éteignent.

Si l'on considère que le récit concerne principalement une famille russo-allemande de Berlin-Est avant la chute du mur, avec les aïeux ancrés dans le parti communiste, si l'on suit les parcours pas spécialement glorieux, à peu de choses près, si on jette un œil sur la couverture et le titre, rien n'incite a priori à la jubilation. Eh bien c'est tout le contraire : ce roman basé sur des éléments autobiographiques d'Eugen Ruge – un Allemand né en Russie et aux multiples compétences littéraires et scientifiques – est un plaisir peu commun, tant par sa construction intelligente que par le réalisme qu'offre un œil aigu, souvent désopilant, sur la vie quotidienne et le parcours de personnes qui, en fin de compte, si nous ne partageons pas leur crépuscule, nous ressemblent à bien des égards.
"Quand la lumière décline" a obtenu en 2011 le Deutscher Buchpreis, équivalent du prix Goncourt ou du Booker Prize. Sa traduction française est remarquable. Cette lumière déclinante, ce sont bien sûr les personnages de quatre générations qui vieillissent et meurent, mais aussi la fin des illusions politiques et espérances familiales. Le dernier de la lignée, Markus, symbolise un déclin sociétal : junkie désemparé, sans emploi ni domicile sérieux, sinon les discothèques. Le roman de Eugen Ruge peut sembler cruel, mais ce n'est pas l'impression principale que l'on retient, sans doute à cause d'une bienveillante humanité qui sourit derrière les mots.

Le roman est divisé en chapitres marqués d'une date et d'un prénom, car chacun raconte un épisode familial selon un membre de la famille. La chronologie est bousculée, certains personnages reviennent plus souvent et les mêmes événements revivent sous des yeux différents. C'est le cas pour la remise de médaille d'anniversaire de l'arrière-grand-père, vétéran du Parti, le 1er octobre 1989, peu avant la chute du mur ; comme un leitmotiv, cette célébration, parfois burlesque, est vécue par chacun des protagonistes principaux, hormis Alexander, puisque ce dernier vient de passer à l'ouest. La structure narrative singulière n'est pas gratuite, elle suscite des parallèles révélateurs, comiques, émouvants. La jubilation du lecteur vient de ce qu'il relie progressivement les pièces du puzzle pour former un tableau familial, certes lacunaire, mais formidablement vrai.

On apprend aussi comment les Berlinois de l'est préparent l'oie à la bourguignonne à Noël. Il y a deux façons – comme Irina Unmitzer, parfois un peu éméchée par le cognac, le démontre : avant 1989, la débrouille et le troc afin de dénicher les ingrédients pour fourrer l'oie ; après le mur, tout vient du supermarché.

Un livre politique ? Un peu, forcément, mais Eugen Ruge rapporte d'abord le quotidien et les aléas d'une famille. C'est une mosaïque, donc un peu complexe, mais très agréable à lire. Il pourrait vous ravir, ce fut mon cas, dans les deux sens du terme. Un extrait bientôt.

Cet auteur a aussi écrit "Le chat andalou", même traducteur aux éditions "Les Escales". 

4 commentaires:

  1. un livre lu à sa parution mais j'étais restée un peu sur ma faim

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    1. Les premières pages sont très déprimantes puis j'ai senti une sorte de connivence avec l'auteur.

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  2. Merci d'avoir présenté ce grand roman, il m'a passionnée. Je souscris à tout ce que vous en avez dit ici et je compte bien lire aussi l'autre roman d'Eugen Ruge sur lequel vous avez écrit plus récemment.

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    1. Bonne idée d'offrir ce retour positif :-)
      « Le Metropol » m'a paru plus révoltant et tout aussi attachant, on y retrouve Charlotte. « Le chat andalou » du même auteur ne m'a pas beaucoup accroché, mais je ne l'ai pas abandonné.

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