2 décembre 2022

Madame Osmond


Traduit de l'anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch

John Banville ne cache pas son admiration pour Henry James (Literary Review), il situe même la naissance du roman psychologique dans le chapitre 27 du "Portrait de femme", où l'on navigue dans le flux de la conscience d'Isabel Archer. Mieux : le roman de James se termine de façon si abrupte que Banville y voit une invitation du Maître à poursuivre le destin d'Isabel, grande création littéraire, qu'il considère, malgré ses travers et ses erreurs, comme une véritable héroïne (The Irish Times). Arrogance et témérité, l'écrivain irlandais a écrit une suite au portrait ! 
 
"The Portrait of a Lady" est un drame joué entre des personnages américains dans un contexte européen (bien que les situations économiques, politiques et sociales ne soient pas évoquées). Isabel Archer, femme vaillante et naïve, découvre que son mari Gilbert Osmond et son ex-maîtresse, Serena Merle, ont agi de concert pour la pousser à ce mariage d'argent. De plus, Pansy, la fille d'Osmond, n'est pas celle d'un premier lit dont l'épouse est morte, mais l'enfant qu'il a eue avec la Merle. Le roman de James se termine lorsque Isabel, abattue et désemparée, fuit Osmond et Rome pour veiller le cousin Ralph Touchett qui se meurt en Angleterre – c'est indirectement grâce à ce dernier qu'elle hérita de sa fortune.

John Banville propose un roman dans la tradition classique, à la façon de Henry James, rien moins qu'un pastiche. Mon sentiment sur James est positif ("Le Tour d'écrou" et "La bête dans la jungleformidables mais "Washington Square" un peu terne) mais je n'ai pas lu "Portrait de femme" ; par contre "Mme Osmond" m'a entièrement conquis, avec une progression très lente, mais jamais ennuyeuse. Intérêt et empathie sont entretenus avec maestria jusqu'à la fin, au point qu'on laisse l'héroïne à regret à la dernière page. Sur une incertitude, cependant... Une suite ?

Que penser du pastiche ? De Henry James, Banville écrit : ”Quiconque a lu, ou tenté de lire, feu James connaîtra ce sentiment d'être à la fois ébloui et étourdi par le style de prose qu'il a développé au cours des premières décennies du XXe siècle, un style conçu pour saisir, avec une immense, avec un diabolique subtilité, et en phrases d'une complexité labyrinthique, la texture même de la vie consciente.” 

Y est-il lui-même parvenu ?

"The Guardian" qualifie "Mrs Osmond" de superbe imitation et apprécie les surprises qu’offre l'ingéniosité de Banville. 
"The New Yorker" est moins enthousiaste, rappelant que Henry James recourait aux longues phrases pour aller aux deuxième, troisième, voire quatrième couches de la pensée : "Banville semble confondre cela avec un simple allongement ; le grain de sa pensée et sa prose sont trop grossiers pour rendre sa tentative crédible.Et après des exemples précis : "Banville, en optant pour le pastiche direct, s'est donné le travail le plus difficile de tous et, en conséquence, échoue le plus sévèrement."
"The New York Times", insistant sur les longueurs et le rythme "ruminatif", est aussi critique : "J'ai eu le sentiment étrange de reconnaître ses phrases comme jamesiennes sans avoir l'impression que James les avait écrites, comme si par le fait même de se faire passer pour James, Banville avait réussi à mettre en lumière à quel point James est inimitable.

Je ne suis pas sûr que l'intention de John Banville était de placer la barre si haut, au plan stylistique. 

Jugeons-en nous-mêmes et suivons notre lady avec les principaux personnages de l'histoire originale dans ce prolongement banvillien. De la Tamise à Paris, jusqu'à Florence et Rome, la valeureuse Isabel Osmond trimballe-t-elle un règlement de compte ? Une vengeance, une réparation ? Je crois que beaucoup sont impatient(e)s de savoir et seront enchanté(e)s.

9 commentaires:

  1. S'attaquer à James c'est fort. En relisant mon billet sur les roman de James, j'ai vu qu'en fait L'excuse de J Wolkenstein était une réécriture du roman, on a la trame mais pas une pâle copie de l'intrigue.
    https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2018/12/un-portrait-de-femme.html
    Avez vous un autre titre de James à me conseiller, au fait?

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    1. Ici Banville écrit une suite, en reprenant le style de HJ, c'est un fameux défi, qui pour les puristes n'est pas réussi. Je suis amateur des nouvelles de James, je vous les conseille, mais côté romans, hormis "Washinton Square" (bof), je ne sais pas.
      Par contre les romans de John Banville, c'est à tenter.

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    2. Parmi les nouvelles (des courts romans plutôt) de James, "Ce que savait Maisie", "La bête dans la jungle" et surtout "Le tour d'écrou" (dans ses implications psychanalytiques) sont parmi celles dont je me souviens bien.

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    3. Je vais noter Banville, alors.
      Pour Le tour d'écrou, j'ai juste vu l'opéra, et j'avoue que je n'ai pas tout compris. ^_^ Le roman, peut-être sera-t-il différent.

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    4. Dans "Le tour d'écrou", comme vous je n'ai d'abord pas saisi, ce sont justement les interprétations du non-dit, du trouble qui m'ont enthousiasmé (cf le billet dans liste des auteurs ci-contre). Par ce biais, la nouvelle gagne son rayonnement.
      Pour Banville, "La mer" est incontournable, très beau style.
      Je note de mon côté J. Wolkenstein, merci de la rappeler.

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  2. "Portrait de femme" ! Avez-vous vu le magnifique film d'après James réalisé par Jane Campion, avec Nicole Kidman et John Malkovich ?
    Très étonnée de ne pas retrouver le roman dans ma bibliothèque, prêté peut-être, près du gros volume en Bouquins contenant "Les ailes de la colombe" et "Les ambassadeurs". Vous me donnez envie de le relire - et la suite de Banville, par curiosité.

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    1. Me voilà partagé entre le film de Jane Campion (pas vu) et le roman de James (jamais lu) ! Au départ, je ne doutais pas de lire « Portrait de femme » et à présent que j'ai lu cette suite, je crains presque – quelle idiotie – de trouver une autre Isabel Archer avec le retour à l'original. À dire vrai, j'ai beaucoup apprécié le personnage «up to date» de "Mme Osmond".

      Notez que si pour vous, ça n'a pas collé avec d'autres livres de Banville, celui-ci est très différent.

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    2. Après bien des recherches, j'ai dû admettre que je n'avais pas encore lu ce roman d'Henry James, ce qui m'a valu d'acheter "Portrait de femme" en Poche. Quel bonheur de lecture ! Et j'ai trouvé ensuite "Mme Osmond" que j'ai beaucoup aimé, dans une autre bibliothèque assez proche, où j'emprunterai "La mer" la prochaine fois. Merci à vous, Christw !

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    3. Je me promets de lire "Le portrait" de James, que je croyais avoir en Poche, mais non.
      Et, ah oui, "La mer" est une belle réussité de Banvllle !

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