17 mai 2019

L'exil dans la langue

"... dans un livre, on est toujours chez soi.
[...].
Dans une langue neuve, on se refait à neuf. Quoi de mieux pour démarrer une nouvelle vie où l'on n'aurait encore vécu ni douleur ni chagrin d'amour ? En cultivant une langue étrangère dans laquelle on n'a ni chagrin ni mémoire, on peut enfin s'oublier.
[...].
Qu'arrive-t-il quand on lit dans une langue étrangère ? Qu'arrive-t-il au moi, prononçant des mots étrangers ?
Comment le corps lui-même réagit-il à cet exil, à ce transfert ?
Silvia Baron Supervielle a ainsi résumé ce processus : «Lorsque je suis partie de l'Argentine, il y  maintenant plus de quarante ans, j'eus la sensation de ressusciter. En débarquant dans un pays où je n'appartenais pas à un passé commun, ni à un groupe de personnes, ni à une langue, j'ai goûté l'anonymat : il n'y avait plus autour de moi de repères, de modèles, d'exigences d'une représentation. J'eus le soupçon qu'en adhérant à cet état clandestin, j'aurais la chance d'entrevoir mon visage.»
D'où la nécessité de lire l'étranger pour renaître ou bien de se mettre à l'abri dans l'autre langue."

Régine Detambel - "Les livres prennent soin de nous"

Je reviendrai plus tard sur ce précieux petit livre qui envisage le potentiel des livres comme remède. 
Régine Detambel est biblio-thérapeute et romancière.

12 commentaires:

  1. Cela me fait penser..Il ne s'agit point de lecture, plutôt de 'langue neuve'. Je copie une citation du livre de Zenatti, dans le faisceau des vivants
    "Avant de partager la même langue, avant que l'hébreu soit conquis au terme d'un combat où chaque mot introuvable était un désarroi amer et chaque mot correctement employé un soulagement, avant cela nous avons partagé le silence hébété des 'nouveaux immigrants'. Puis nous nous sommes mis à parler cette langue dans laquelle nous n'avions pas vécu, c'est-à-dire une langue dans laquelle nous n'avions pas découvert le monde ni été aimés, dans laquelle nous n’avions pas souffert non plus, et surtout dans laquelle n'étaient pas inscrits les silences de l'enfance. Nous nous sommes glissés dans l'hébreu comme dans des draps rugueux, dans une hospitalité qui créait grossièrement mais sûrement un espace inviolable par le passé, dont on pouvait se donner l'illusion qu'il n'avait pas eu lieu. Le merveilleux oubli avait aussi permis la renaissance."

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    1. Voilà un remarquable extrait qui exprime brillamment l'idée de l'exil dans la langue, «espace inviolable par le passé», qui facilite la renaissance, la résilience.
      Ce qui me fait regretter d'avoir zappé Valérie Zenatti et "Le faisceau de vivants", pourtant fortement recommandé par à peu près tout le monde. Mais il n'est pas trop tard.
      Merci Keisha.

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  2. cela me passionne de lire cela moi qui suis plus que réfractaire à la langue anglaise et qui ne parvient pas à lire dans une autre langue, l'effort de compréhension annulant chez moi tout plaisir de lecture j'aime beaucoup ces deux extraits, le votre Christian et celui de Keisha

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    1. Je ne suis pas du tout réfractaire à l'anglais, mais je lis très rarement des livres, romans, essais dans cette langue, je suis comme vous, je perds trop dans un effort, même modéré. Je me contente de livres, articles et magazines techniques en VO sur l'aviation, le maquettisme, la photo. C'est indispensable dans ces domaines de comprendre l'anglais, ainsi que dans l'informatique.
      L'exil dans la langue (dans la lecture bien sûr) m'intéresse mais en tant que curieux, extérieur au problème, sinon en vacances, ce qui est différent.

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  3. Je ne connais pas l'auteur mais les citations sont très belles et très justes !

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    1. C'est un petit livre qui se penche sur les bienfaits thérapeutiques de la lecture. Pour des personnes qui ont des blessures psychiques, les enfants, les personnes âgées, déprimées, ... Cela permet à chacun de comprendre pourquoi et en quoi les histoires, la poésie, etc. nous «font du bien».

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  4. Je l'ai lu et j'ai beaucoup aimé puisque j'aime les livres passionnément. Et je comprends tout à fait ce que dit Silvia Baron Supervielle, même si on reste dans la même langue, pour moi la langue française, on peut changer de langage du tout au tout et redécouvrir chaque bribe de tout.
    Très bon dimanche. Merci pour les réflexions que vous faites naître.

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    1. Merci à vous de ce retour sur le livre de Régine Detambel, comment ne pas apprécier un livre qui trouve tant de ressources dans la lecture et les mots, c'est vrai.
      Très beau dimanche.

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  5. Un sujet qui me passionne depuis longtemps, ces deux extraits sont si parlants.
    Pour reprendre la phrase de Silvia Baron Supervielle "J'eus le soupçon qu'en adhérant à cet état clandestin, j'aurais la chance d'entrevoir mon visage», elle dit aussi dans une interview:"... Alors je me suis mise à écrire en français. Ça m'a beaucoup plu, je voyais les choses d'une autre façon. J'avais peur de cette nouvelle langue et je soupçonne que c'est pour cela que j'ai écrit des poèmes courts. Ce fut la révélation d'un style et avec lui, d'un univers. Ces poèmes me rendaient mon image, la solitude dans laquelle je me trouvais. L'idée me vint que je pouvais être écrivaine. Pas parce que mes poèmes étaient en français mais parce qu'ils étaient dans une autre langue. Les mots étaient lointains. La désorientation me convenait."
    Elle finit en disant" Être étranger – et maintenant je le suis partout- est aussi une façon d'être libre. La non intégration est une liberté. Je ne suis intégrée nulle part. Et je ne cherche pas à l'être. Je ne sais pas faire partie d'un groupe humain. Je n'appartiens qu'à ceux que je veux qu'ils soient ici ou ailleurs. Et EN MARGE est peut-être ma patrie."

    Merci beaucoup, ce sujet me touche de près, une liberté qu'on découvre peu à peu, c'est sûr.
    Bon dimanche Christian

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    1. J'étais sûr que vous étiez bien placée pour commenter ceci que nous avions déjà un peu évoqué, et vous connaissez bien l'auteure argentine reprise par Detambel.
      J'aime l'idée de "citoyen du monde" (un site photo que je fréquentais le propose comme choix de nationalité à ses membres, option que j'avais choisie).
      Grand merci, passez un beau dimanche.

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  6. J'aime beaucoup de temps en temps lire en anglais sur ma tablette, l'accès au dictionnaire étant ainsi grandement facilitée. J'aime découvrir des mots, des expressions parfois plus percutants que dans notre propre langue (et inversement bien entendu). Même chose avec les langues régionales. Vingt ans de vie en Alsace, m'ont permis ainsi d'engranger quelques expressions qui me viennent encore naturellement sous la langue, alors que j'ai quitté cette région depuis bientôt dix ans.

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    1. Vous pratiquez je crois un anglais plutôt «fluent», plus que le mien…
      J'aime beaucoup l'Alsace, il y a tant à visiter, nous y allons souvent, mais en séjournant dans les Vosges.
      Merci pour ce témoignage intéressant Annie, beau dimanche.

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