14 mai 2019

Manet, Picasso, des toiles et des femmes

On ne présente plus Philippe Sollers, cet écrivain à l'esprit libertin, défenseur farouche de l'individu créatif. Ce livre s'apparente à un fourre-tout peu ou prou structuré en enfilade de paragraphes alternant au petit bonheur des thèmes récurrents. À propos de "L'éclaircie",  les commentateurs des plus prestigieux journaux s'enlisent - alors que Sollers s'amuse - à y trouver un fil conducteur tangible. On a une liaison clandestine avec Lucie (lux, lucis : lumière de l'éclaircie), les allégations d'inceste avec la sœur, l'art, la peinture de Manet, de Picasso, avec toutes les femmes, les fleurs, les musiques qu'ils ont peintes. Ajoutez-y la critique du nihilisme artistique ambiant et secouez. J'ai tout vidé et trouvé cela bon. Tenez : j'ai marqué dix-huit pa(ssa)ges à relire.

Ne soyez pas effrayé par la prose opaque, Sollers ne prend pas le lecteur par la main. Si vous ne connaissez pas Éva, Olga, Dora, Marie-Thérèse, les femmes de Picasso, le Minotaure, si vous ne savez rien de la biographie de Manet, des caricatures méchantes, du pied coupé, de Berthe Morisot qui fut sa belle-sœur ni de ses amitiés avec Mallarmé et Baudelaire, débrouillez-vous, suivez-le ou lâchez-le. Il n'y a donc pas trop le choix, on devine, on s'informe en parallèle et l'on part à la recherche des tableaux désignés : sur la Toile, admettons que ce n'est pas la galère de trouver. Une fois au diapason – quelques nébulosités mises de côté – il faut reconnaître que Philippe Sollers écrit bien sur l'art, laconique et brutal, très (trop?) personnel mais jamais – ô merci cher critique – barbant conformiste.

Vous ne pensez pas lire "L'éclaircie" ? Alors essayez au moins une présentation caustique (Arte) de ce drôle de roman, riez et grincez un peu de/avec cet auteur qui ne manque pas d'air et qui, néanmoins, tente quelques vérités: «L'amour c'est gratuit, c'est pour ça que personne n'en veut».

Quelques extraits illustrés de "L'éclaircie".

"On dirait qu'elle est en grand deuil, mais elle est 
éblouissante de fraîcheur et de gaieté fine. [...].
Ce que Manet a découvert dans le noir ?
Le regard du regard
dans le regard
l'interdit qui dit oui, 
la beauté enrichie de néant."
("Berthe Morisot au bouquet de violettes")

"... Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire, par Manet est terrible :
visage ravagé dans un grand cercueil blanc de robe.
"

"Le 24 janvier 1932, dans Le Rêve, Marie-Thérèse, 
la tête renversée en arrière, selon deux profils différents, 
dort dans un fauteuil rouge, épanouie, mélodieuse, 
s'embrassant elle-même, complètement livrée au dehors."
("Le Rêve" - Picasso)

"Transformer un violon en femme et une femme en violon n'a rien 
d'évident, surtout lorsqu'il s'agit de bois d'où doit sortir la musique.
Le corps d'Éva est un violon sur lequel l'archet de Picasso joue,
mais on peut dire aussi qu'elle le fait vibrer comme personne.
"

("Le violon (Jolie Éva)")

16 commentaires:

  1. il faut que j'avoue que si je peux encore lire le Sollers essayiste à petite dose, je suis totalement réfractaire au romancier
    je le trouve tellement imbu de sa personne que cela vient annulé l'intérêt certain qu'il présente quant à sa connaissance de la littérature, de l'art, de la philosophie mais trop c'est trop pour moi j'ai le souvenir d'un essai sur Dante où je m'étais amusée à compter combien de fois il parlait de lui au lieu de parler de Dante, c'était impressionnant !!!

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    1. Ceci est appelé roman mais n'en est pas un. Parlons plutôt d'une discussion libre sur la peinture, l'art, etc.
      Les défauts que vous lui trouvez ne me dérangent pas vraiment, d'autant qu'il les assume. Avez-vous regardé la présentation que je propose ?
      Et ne vous énervez pas, Sollers s'en fout à mon avis...;-)

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  2. Sollers, le poète aux multiples mutations (certaines fâcheuses), possède un talent d'écriture qui ne s'est jamais départit d'un sens de l'humour que j'apprécie que l'on peut voir dans les phrases citées ci-dessus.

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    1. Tiens, je n'y vois pas tellement d'humour, hormis peut-être le dernier extrait.

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    2. J'aurais dû préciser "humour duchampien": «...non pas l'humour dans le sens «humoriste» d'humour, «humor» humoristique d'humour. L'humour est une chose beaucoup plus profonde et plus sérieuse et plus difficile à définir. Il ne s'agit pas seulement de rire. Il y a un humour qui est I'humour noir, qui ne rit pas et qui ne pleure pas non plus. Qui est une chose en soi, qui est un nouveau sentiment pour ainsi dire, qui découle de toutes sortes de choses que nous ne pouvons pas analyser par les mots.» Duchamp qui conseillait: « Prenez le maquis, ne laissez croire à personne que vous êtes en train de travailler. » Sollers a beaucoup travaillé son style.:-)

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    3. Afin d'y voir plus clair, demain je lirai un peu plus à l'aise les textes (interview de Duchamp en 1960 et "Journal du mois" de Sollers en 2007) dont vous mentionnez des citations.
      Merci et bonne soirée.

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  3. J'avoue que pour les mêmes raisons que Dominique, je ne suis guère attirée par les textes de Philippe Sollers. Mais vos citations sous les tableaux sont bien intéressantes. Qui sait ?

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    1. Ces citations traduisent (quand même) une belle sensibilité.
      Mais c'est à vous de voir, bonne fin de journée, Annie.

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  4. J'adore les citations et j'en avais déjà repérée une dans un billet précédent. J'ai hâte de lire ce roman-essai !!! JE crois n'avoir lu qu'un de ses essais. Merci pour le lien, j'irai le voir

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    1. Le lien est marrant.
      Tu n'as donc pas trop l'air d'avoir Sollers en grippe... Il peut parfois déplaire et je comprends.
      À bientôt.

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  5. Une lecture qui demande à chercher pas mal d'informations en mêem temps, si j'ai bien compris. (on n'a pas tous ces tableaux sous la main)

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    1. Oh oui, c'est un choix de suivre l'auteur, il faut le vouloir, on n'a pas les tableaux sous les yeux. J'aime la peinture de cette époque (19è siècle + Picasso au 20è) et ces recherches me permettent d'en apprendre beaucoup. Au profit, peut-être, de prochaines visite muséales.
      J'ai lu ce livre lentement, un peu tous les jours.

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  6. Sollers écrit de belles choses sur l'art, j'aime que chez lui l'érudition se conjugue avec une grande finesse dans l'analyse.
    Cela dit, pourquoi tient-il à la mention "roman" sous ce genre de texte ? Peut-être est-ce une caution pour pouvoir s'exprimer en toute liberté ? Beau titre, qui incite à le lire malgré ses excès d'ego.

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    1. Pourquoi roman ? L'hypothèse que vous donnez est plausible, car il y a, entre autres, cette "tentation incestueuse" avec sa soeur Anne. De fiction, il n'y a que la liaison avec Lucie (et encore... qu'en sait-on). Je n'ai pas lu ce livre comme une fiction.

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  7. J'aime beaucoup la finesse des citations sous les tableaux....et la vidéo en lien, très drôle, oui!
    Merci.

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    1. Ah , un retour sur la vidéo, merci. Drôle de bonhomme, je ne parviens pas à le détester...

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