Afin d'être un peu exhaustif avec les recueils de lettres d'Arthur Schopenhauer, voici deux ou trois notes de ce que j'ai pu en lire jusqu'ici et comprendre assez.
Il convient d'abord de préciser que la question abordée dans la lettre n°503, traitant de la négation de la volonté, est plus amplement traitée dans la correspondance avec Julius Frauenstädt, ami et éditeur [lettres 279 à 281]. Les objections et interrogations proviennent en général de ce que l'on veut aller trop loin avec le concept de volonté. Schopenhauer se garde surtout de faire de la mystique.
Les interrogations de Frauenstädt finissent par agacer le maître qui s'emporte: "Vous devez chercher la chose en soi [la volonté] uniquement dans le phénomène, comme n'existant que par rapport à ce dernier, et non pas à Coucouville-les-Nuées [en allemand Wolkenkukusheim, invention de Schopenhauer], où vous semblez souvent la contempler: nous ne pouvons y aller, cela signifie qu'elle est transcendante." [lettre 279].
Quinze jours après : "Le pire, c'est que je dois constater que j'ai perdu mon temps et ma peine, [...] de tout de ce que j'ai dit, de ce que j'ai cité, rien n'a été pris en compte, et ce uniquement pour que vous puissiez continuer dans cette véritable exaltation de l'absurdité sans être dérangé. [...]. C'est en vain que je vous ai écrit de ne pas chercher la chose en soi à Coucouville-les-Nuées (c'est-à-dire là où réside le Dieu des Juifs), mais dans les choses de ce monde – et donc dans la table sur laquelle vous écrivez, dans la chaise sous votre très cher. [...]" [lettre 280].
Dans un courrier écrit trois jours plus tard, rugissements apaisés, Schopenhauer reprend le sujet posément. Une vingtaine de jours après, il est question de gratitude et d'approbation relativement à un article de Frauenstädt. Les échanges musclés n'empêchent pas la courtoisie et la reconnaissance.
On trouve le thème de la négation de la volonté plus tôt, en 1844, dans la correspondance avec J. A. Becker [lettres n° 200 et 201]. Y est discuté ce que l'Église considère comme un fait surnaturel, la transformation observée chez des convertis et ascètes devenus des saints.
Schopenhauer qui ne connaît pas de "Seigneur gracieux", voit là un processus objectif, un fait empirique, et oppose "le royaume de la nature au royaume de la grâce". Ce fait rare vient de la négation du vouloir-vivre, "lorsque la connaissance la plus claire jette sa lumière sur la volonté", compréhension dont aucun être n'est capable sinon l'homme doté de conscience. Lors de la négation de la volonté, "phénomène tout à fait nouveau quand l'homme saisit subitement la souffrance du monde comme étant sa propre souffrance", les motifs qui produisaient des effets sur un caractère donné n'en produisent plus : l'agréable et excitant n'engendre plus de plaisir, l'insulte plus de colère, la mort est accueillie avec joie.
Le singulier de ces explications du philosophe allemand est que cette inversion du vouloir n'est pas graduelle et n'engendre pas de mutation progressive. Elle se produit à partir d'un certain degré de compréhension, comparable au point d'ébullition de l'eau. Schopenhauer compare le caractère de l'individu à un théâtre mécanique avec des figurines actionnées par un mécanisme d'horlogerie ; si l'on coupe la source d'énergie qui l'actionne, la scène ne va pas fonctionner différemment, tout s'arrête. Schopenhauer écrit clairement : "C'est pourquoi un homme méchant peut devenir immédiatement un saint, mais non un homme juste et bon".
Car, selon Schopenhauer, "si la volonté de vie s'affirme dans un individu, ce dernier possède et garde son caractère individuel, parce que cette volonté s'affirme dans ce caractère et en tant que cet individu ; ou bien elle se nie, et elle cessera alors entièrement de vouloir, ce qui supprime entièrement le caractère de l'individu".
Au cœur de ces notions, la liberté individuelle est aussi questionnée par l'avocat Becker. Sur ce point, laissons les lettres, Clément Rosset donne clairement la position du philosophe sur le libre-arbitre dans son ouvrage "Schopenhauer, philosophe de l'absurde" (Quadrige) à travers un exemple éloquent sur l'illusion de la liberté.
La négation du vouloir-vivre avec des mots simples dans "Le jardin philosophe" de Guy Karl et un condensé ici (Université de Nantes).
Autres notes sur les lettres de Schopenhauer : (1)
Schopenhauer qui ne connaît pas de "Seigneur gracieux", voit là un processus objectif, un fait empirique, et oppose "le royaume de la nature au royaume de la grâce". Ce fait rare vient de la négation du vouloir-vivre, "lorsque la connaissance la plus claire jette sa lumière sur la volonté", compréhension dont aucun être n'est capable sinon l'homme doté de conscience. Lors de la négation de la volonté, "phénomène tout à fait nouveau quand l'homme saisit subitement la souffrance du monde comme étant sa propre souffrance", les motifs qui produisaient des effets sur un caractère donné n'en produisent plus : l'agréable et excitant n'engendre plus de plaisir, l'insulte plus de colère, la mort est accueillie avec joie.
Le singulier de ces explications du philosophe allemand est que cette inversion du vouloir n'est pas graduelle et n'engendre pas de mutation progressive. Elle se produit à partir d'un certain degré de compréhension, comparable au point d'ébullition de l'eau. Schopenhauer compare le caractère de l'individu à un théâtre mécanique avec des figurines actionnées par un mécanisme d'horlogerie ; si l'on coupe la source d'énergie qui l'actionne, la scène ne va pas fonctionner différemment, tout s'arrête. Schopenhauer écrit clairement : "C'est pourquoi un homme méchant peut devenir immédiatement un saint, mais non un homme juste et bon".
Car, selon Schopenhauer, "si la volonté de vie s'affirme dans un individu, ce dernier possède et garde son caractère individuel, parce que cette volonté s'affirme dans ce caractère et en tant que cet individu ; ou bien elle se nie, et elle cessera alors entièrement de vouloir, ce qui supprime entièrement le caractère de l'individu".
Au cœur de ces notions, la liberté individuelle est aussi questionnée par l'avocat Becker. Sur ce point, laissons les lettres, Clément Rosset donne clairement la position du philosophe sur le libre-arbitre dans son ouvrage "Schopenhauer, philosophe de l'absurde" (Quadrige) à travers un exemple éloquent sur l'illusion de la liberté.
La négation du vouloir-vivre avec des mots simples dans "Le jardin philosophe" de Guy Karl et un condensé ici (Université de Nantes).
Autres notes sur les lettres de Schopenhauer : (1)
Autres notes sur les lettres de Schopenhauer : (2)
Peut-on parler de "la volonté de vie" aujourd'hui en faisant l'impasse sur les connaissances en biologie? L'évolution des espèces, l'inné, l'acquis, la dégénérescence des cellules, etc...Je pense à H. Laborit et ses conclusions trés "schopenhauerienne."
RépondreSupprimerÉvidemment, en 2019, nous avons d'autres éléments "à ajouter au dossier". L'intuition de Schopenhauer, en se replaçant au milieu du 19e siècle, était convaincante. Elle le reste, philosophiquement.
SupprimerMerci de rappeler les apports de H.Laborit.
Je trouve intéressant de considérer ces échanges d'arguments et d'idées à distance; ces lettres sont à considérer dans une mise en perspective historique.
SupprimerLa théorie des espèces n'avait pas vu le jour, cependant Schopenhauer affirmait déjà que l'homme est un animal. Et sa pensée écartait le dualisme du corps et de l'âme.